Une de la semaine

Chronique Souterraine #19

 

Propos recueillis par une vraie fausse journaliste…

Il est cinq heures du soir, il a plu toute la journée et j’ai cherché un moment dans les rues sales et trempées de Terre Sainte l’adresse exacte que l’Écrivain Souterrain m’avait envoyée deux jours plus tôt par mail. « Vous prenez la rue de l’Église et vous montez. Arrivée en haut, vous gueulez un bon coup devant la maison au portail jaune. Si personne ne vous répond, c’est que je ne suis pas en état haha ! » Voilà pour seules explications.

Plusieurs raisons m’ont décidé à interviewer cet homme, en plus du fait que c’était l’occasion de rencontrer un écrivain sur l’île. La première fut son nom d’auteur, déjà. De mémoire, jamais un écrivain n’avait à ce point (faussement ?) caché son identité au point de refuser même l’utilisation d’un pseudonyme. La seconde était le contenu de son premier roman autoédité, Où veux-tu qu’je r’garde ? (NDLR disponible sur Amazon uniquement), dont j’ai entendu parler par une amie qui, bien que très rarement lectrice, avait dévoré ce livre en quatre jours. J’ai donc commencé à feuilleter ce roman durant ma soirée et… ma soirée s’est passée avec ce roman. Dernier point, je voulais comprendre sa démarche d’auteur indépendant – même s’il en esquisse les traits dans son roman et dans certaines chroniques de son blog (NDLR ecrivain-souterrain.com).

Me voilà donc la tête trempée et la nuit tombe… Je trouve enfin le fameux portail bleu. L’appartement est éclairé. Je me mets à crier plus que de raison pour couvrir de son de la pluie.

La Vraie-Fausse Journaliste. – HÉHO Y’A KELKUN ?

Une voix. – HOW ! C’est quoi ce bordel ?

L. V-F. J. – Monsieur l’Écrivain Souterrain ?

Un homme d’une trentaine d’années apparaît, canette de Dodo à la main. Il est pieds nus, en jean, mal rasé et porte un marcel blanc tout tâché. Son regard, méfiant et impeccablement bleu me transperce.

L’homme. – Qu’est-ce que vous voulez ?

L. V-F. J. – Bonsoir. Je suis journaliste, je cherche la maison de l’Écri…

L’homme. – Oh ! C’est vous ! Pardon j’avais oublié le rendez-vous et je vous ai pris pour quelqu’un d’autre.

L. V-F. J. – Pour qui ?

L’homme. – Une cinglée qui me harcèle depuis qu’elle a lu mes chroniques et pense que je suis l’homme de sa vie. Mais entrez, je vous en prie, venez vous mettre au sec.

En une fraction de seconde son comportement avait changé. Le voilà qui sourit et plaisante pour me mettre à l’aise. L’appartement est une sorte de garage aménagé, très sale et très en désordre.

L’homme. – Désolé pour ça. Je viens d’aménager ici il n’y a pas très longtemps et mes colocataires n’ont pas vu Mary Poppins.

L. V-F. J. – Vous déménagez souvent ?

L’homme. – Disons que la vie ne m’a pas trop laissé me fixer pour le moment…

L. V-F. J. – Et vous vivez en colocation ?

L’homme. – Faut bien. Mais ils sont de sortie dans l’ouest ce soir, nous serons tranquilles. Tenez, prenez cette serviette – elle est propre – pour vos cheveux. Mettez-vous à l’aise, je reviens tout de suite.

Il disparait dans une pièce que je devine être sa chambre pour en ressortir deux minutes plus tard, chaussé de Doc Martens marron et vêtu d’une chemise à manche courte en lin, rayée verticalement de rose et de beige. Je ne peux m’empêcher de sourire.

L’homme. – D’habitude je m’habille plutôt en noir mais, pour vous, je veux bien faire un effort. Cette chemise vous plait ?

L. V-F. J. – Elle est très jolie.

L’homme. – Tant mieux alors… Au fait (il me tend sa main) je suis l’Écrivain Souterrain, enchanté.

Je lui serre la main.

L. V-F. J. – Enchantée également. Vous avez un vrai prénom sinon ?

L’Écrivain Souterrain. – Je vous le dis si vous me promettez de le garder pour vous ?

L. V-F. J. – D’accord. Promis.

Il me le dit. Nous nous installons sur de vieux canapés tout pourris et je commence à sortir mon carnet et mon matériel d’enregistrement.

L’É. S. – Encore désolé pour la crasse.

L. V-F. J. – Ce n’est pas grave.

Son regard est fuyant, timide. Je le sens extrêmement nerveux. Il me demande si je veux boire quelque chose ? De l’eau me va très bien. Il se lève et revient avec une carafe d’eau pleine et une bouteille de mauvais vin. (Il en boira une bouteille et demie lors de cet entretien). Une fois installé dans son fauteuil, il entreprend de se rouler une cigarette. Son majeur est fortement taché de nicotine.

L. V-F. J. – Vous êtes gaucher ?

L’É. S. – Excepté lorsque j’utilise la souris de mon clavier, sinon oui. Vous êtes observatrice.

L. V-F. J. – C’est mon métier.

L’É. S. – Le mien aussi.

L. V-F. J. – …

L’É. S. – … (fume et bois)

L. V-F. J. – …

L’É. S. – Bien… Alors comment ça se passe votre truc ?

L. V-F. J. – Et bien… J’ai l’habitude de commencer par des questions tout à fait banales et ensuite, suivant comment se déroule l’exercice, cela prendra plus la forme d’une conversation. Ça vous va ?

L’É. S. – Ça me va, j’adore converser.

L. V-F. J. – Qui êtes-vous ?

L’É. S. – (sourire) En effet, ça commence bateau ! Heu… Bonne question ceci dit… Disons un mec d’une trentaine d’années. Nationalité Français, auto-qualifié écrivain. Pour le reste je cherche encore… Et vous ?

L. V-F. J. – Êtes-vous un écrivain à temps complet ?

L’É. S. – Oui, depuis trois ans on peut dire ça.

L. V-F. J. – Comment vous est venue l’envie d’écrire et qu’est-ce que ça vous apporte ?

L’É. S. – Ça m’a apporté quelques d’ennuis, beaucoup de fatigue et quelques conquêtes (sourire, verre de vin et bouffée de cigarette)… Comme tout perturbé qui se respecte, ça m’est venu à l’adolescence. Mais j’ai arrêté d’écrire régulièrement pendant longtemps ensuite. 7 ou 8 ans… En réalité je n’ai jamais vraiment décidé de m’y remettre. Arrivé à la Réunion, j’ai commencé à écrire mon premier roman sans m’en rendre compte – ce devait juste être une nouvelle. Et depuis, je n’ai jamais arrêté.

L. V-F. J. – Pourquoi ?

L’É. S. – Sans doute que j’ai des choses à dire… et à crier.

L. V-F. J. – Avez-vous des modèles ?

L’É. S. – Oui.

L. V-F. J. – Suivez-vous une mode ?

L’É. S. – Celle des démodés.

Son visage se referme. Je vois qu’il commence à être agacé par mes questions « bateau ».

L. V-F. J. – Vous avez créé un blog, L’Écrivain Souterrain. Pourquoi ? Qu’attendez-vous d’une telle démarche ?

L’É. S. – Gagner ma croûte. C’est aussi simple que ça. Très honnêtement, je n’aurais jamais entrepris un blog de cette manière si j’avais été édité. C’est un truc bizarre. Tous les gens qui me lisent disent que j’écris bien, mais je n’ai reçu que des lettres de refus, même de la part de maisons d’édition dites à « contre-courant » (guillemets avec les doigts). Alors deux choix possibles : soit mes lecteurs n’ont aucun goût et moi aucun talent – mais très honnêtement et sans prétention je ne pense pas que ce soit le cas – soit les éditeurs ont oublié une partie de la littérature. Comme je n’allais pas attendre ma mort avant d’être découvert, j’ai tenté ma chance comme ça. Pour le moment, par rapport à la quantité de travail fournie en plus de l’écriture, on peut dire que c’est un bide – j’ai vendu moins de quinze livres à l’heure où l’on parle – mais c’est déjà plus que rien.

L. V-F. J. – Ah oui ?! Je ne pensais pas à ce point-là. Si peu ?

L’É. S. – Eh oui. Pour ça que votre proposition d’interview m’a surpris. Après, à la question « pourquoi un blog ? », la raison principale est que les gens ne lisent plus, et encore moins sur le papier. La mode des fanzines, hélas, se retrouve à la trappe. Et l’investissement de départ (en plus du savoir requis) est tout de même moins coûteux pour un support virtuel.

L. V-F. J. – Vous parlez beaucoup d’argent…

L’É. S. – Y’a que ceux qui n’en manquent pas qui n’en parlent pas. Et encore… Pour finir sur cette histoire de blog… (nouveau verre de vin)… Nous chavirons dans une époque où le virtuel, pour la plupart des gens, devient de plus en plus le réel. Sans doute pour cela que la réalité virtuelle cartonne… Bel oxymore entre nous… Plus sérieusement, j’ai créé un site internet pour deux choses : pouvoir éditer et tester sur le terrain ce que j’écris sans attendre d’être vieux, liquide et hypothétiquement remarqué par un éditeur. Et ensuite parce que cela me permet une liberté totale de rédaction. J’en attends beaucoup de choses – sans doute trop.

L. V-F. J. – Pourquoi ce nom, l’Écrivain Souterrain ?

L’É. S. – Pourquoi pas ?

L. V-F. J. – Ce n’est pas très… courant.

L’É. S. – C’est peut-être ce qui m’a séduit. Trop de gens ont le culte de la personnalité, du héros, ce genre de choses… Y’a qu’à voir le président qu’on se tape et le nombre de gens accros au fait de sculpter leur corps pour ensuite se photographier et espérer une célébrité toute éphémère et relative sur les réseaux. L’idée de mettre en avant les mots est une idée qui me séduit. Après, même si je rêve de devenir la rock-star de la littérature, faut pas trop délirer non plus (rires).

L. V-F. J. – Pourquoi ?

L’É. S. – Pour la même raison que tout à l’heure : les gens ne lisent plus. Ou alors, ils lisent pour se détendre, pour « se vider la tête », ce que je trouve totalement con. Pour finir : que l’Écrivain Souterrain soit connu, reconnu et me fasse gagner ma croûte, avec plaisir, c’est mon but. Après que moi (il dit son vrai prénom) on me reconnaisse dans la rue et que je sois obligé de me taper des autographes, honnêtement, ça ne me dit rien. Mais je me rends compte que je mens assez – aussi – en disant ça. Principe du paradoxe…

L. V-F. J. – Donc, vous avez publié vous-même votre bouquin en « désespoir de cause » ?

L’É. S. – Voilà. Pour présenter et tester sur le terrain mon travail sans attendre d’être vieux, liquide et hypothétiquement remarqué par un éditeur.

L. V-F. J. – Il y a-t-il des choses que vous regrettez d’avoir publié ?

L’É. S. – Non. Mais je regrette d’avoir été mal lu parfois.

L. V-F. J. – Comme quoi ?

L’É. S. – Trop personnel pour que j’en parle. Mais je l’écrirai un jour certainement. Et si vous avez lu mon livre, vous avez une idée de quoi je parle…

L. V-F. J. – Qu’est-ce qui vous énerve le plus dans la vie ?

L’É. S. – Moi (rires). Rien qu’aujourd’hui, dès le matin je me suis saoulé !

L. V-F. J. – Plus sérieusement…

L’É. S. – Beaucoup de choses me rendent fou… Un exemple récent : Pour la soirée du 25 (décembre – ndlr) j’ai été invité à diner chez une amie. Il y avait là sa fille de 22 ans qui, d’après ce que j’avais pigé, avait insisté pour passer la soirée avec sa mère. Cette fille c’était… disons le genre de belle gueule qui joue les précieuses et gagne sa croûte en faisant hôtesse en parallèle de ses études de management. Bref ! Toujours est-il que la môme n’a pas décollé de son téléphone de toute la soirée. À la fin, j’avais vraiment envie de lui foutre dans le cul pour la dérider. Si on un jour mon fils me fait ça, je lui promets que son téléphone va se retrouver éclaté contre un mur.

L. V-F. J. – C’est assez radical…

L’É. S. – Mais le monde est radical. Ce qui – pour répondre plus précisément à votre question – me rend dingue, c’est comment l’on compartimente ce qui est « bien » de ce qui est « mal ». Prenez quelqu’un de classe moyenne sup’ et avec un boulot « bien comme il faut », respectable, genre psy qui mange bio, vote pour la gauche libérale et aime à exposer des œuvres d’art autour de sa piscine. Cette personne peut prendre un malin plaisir à manipuler son entourage, quitte à le détruire, faire un sourire par devant tout en faisant du « la di la fé » par-derrière. Mais cette personne ne sera jamais inquiétée. En revanche, vous prenez un gars pauvre, paumé, un tantinet sensible qui expose la vérité, et là, vous pouvez être sûre que les emmerdes vont arriver plus vite qu’un téton dans un film porno. C’est très le Misanthrope de Molière tout ça, mais c’est ce que je ne supporte pas, l’impunité et la normalisation de la saloperie est quelque chose qui m’enrage.

En l’espace d’un éclair, une lueur de colère froide, glaçante, a traversé son regard, et le mien. Je décide de changer de sujet, pour mieux y revenir plus tard.

L. V-F. J. – Quel est votre écrivain vivant préféré ?

L’É. S. – Moi.

L. V-F. J. – OK… Dans quel genre de situation vous placez-vous pour…

L’É. S. – Pardon je vous coupe mais… vous comprenez pourquoi j’ai dit ça ? Si je trouvais un écrivain capable de dire ce que je dis, et d’une façon plus belle que la mienne, je n’écrirais pas. J’écris parce que – à tort ou à raison d’ailleurs, je ne lis pas tous les auteurs de la terre – je trouve qu’il y a un manque. Un son de cloche absent. C’est ce son de cloche que j’essaie de faire raisonner.

L. V-F. J. – À quoi ressemble-t-il ce son de cloche ?

L’É. S. – À une déclaration de guerre, je crois.

L. V-F. J. – Contre quoi ?

L’É. S. – Contre tout ce que l’on a pas le droit de dire, de représenter, d’écrire ou de penser. Une ambiance générale… Pour vous donner un exemple, étant assez fan de Coluche, je suis à peu près certain qu’aujourd’hui, les fémen, les associations anti racistes, anti ceci ou anti cela camperaient devant sa porte pour lui faire la peau. Sans compter les commentaires désastreux qu’il se prendrait sur les réseaux asociaux. Pour la faire courte, je trouve cette époque totalement à côté de la plaque, et hormis certains penseurs polémistes, comme Gargamel là… comment il s’appelle ?

L. V-F. J. – Éric Zemmour ?

L’É. S. – C’est ça Éric Zemmour. Ben à part lui et quelques autres, qui le font de façon… disons chiante et politique, je ne connais pas beaucoup d’écrivains à l’heure actuelle qui oserait écrire de façon frontale sur certains sujets comme la religion islamique, par exemple – pour parler d’un sujet à la mode – mais on pourrait prendre l’homosexualité ou les immigrés en général, les femmes, les handicapés… Bref, toute ces minorités devenues le dogme majoritaire intouchable. Même s’il est certain que je ne peux pas comprendre, étant un homme blanc vivant dans un pays d’hommes blancs (quoiqu’à la Réunion…), ce que peut être une discrimination, y’a un moment où ça vire au fascisme leur truc. S’il est interdit d’écrire un personnage se tapant une bière et un jambon beurre devant des guignols en train de prier dans la rue, vous pouvez être sûr que c’est ce que je vais faire. Et vous pouvez être sûre que ces propos-là vont être mal interprétés.

L. V-F. J. – Que reprochez-vous à l’Islam ?

L’É. S. – Rien. Je reproche à un pays qui depuis 1500 ans est catholique de se laisser balayer sa culture sans en avoir honte – et sans parler du fait qu’il est beaucoup plus cool de s’américaniser… Je suis d’accord sur le fait que la population change. C’est naturel. Mais vous ne pouvez pas en 20 piges transformer un pays qui a mis 1500 ans à se construire. Vous pigez ? Si dans 1000 ans, dans chaque village de France, se trouve une mosquée, je me dirais « ok, c’est normal, c’est la juste évolution d’une civilisation », mais ça aura pris mille ans, pas 15 jours. Mais le sujet est plus faste… On a l’impression maintenant que plus personne ne pourrait écrire une histoire de baise entre un chat et une fille de 15 ans, musulmane – ou juive ou ce que vous voulez d’autre, je suis pas jaloux – bisexuelle, végane et handicapée. Pourtant, ça a la langue râpeuse un chat, ça doit être bien pour les cunnis. Et il suffit de trouver le bon angle pour faire un truc sympa. Mais non ! Les associations « bien comme il faut » vont vous flinguer cette liberté ! Si en plus vous en faites une connasse… Pourtant, les connasses de 15 ans, musulmanes, végane, zoophiles et handicapées ça doit bien exister. Donc elles ont bien le droit de lire des histoires sur elles non ? Vous savez… demain, y’a trois ans, mourrait Charlie. À chacun de voir ce que cela veut dire. Pour ma, part, que j’ai tort ou raison, ça veut dire que je ne fermerais jamais ma gueule. Et vous savez quoi, si demain aucun illustrateur ne représente Mahomet faire un 69 avec Jésus, ben les tueurs auront gagné, car cela voudra dire qu’aucun athée n’osera plus JAMAIS se moquer d’une chose en laquelle il ne croit pas.

L. V-F. J. – C’est assez provocateur.

L’É. S. – Ouais, mais de la part de qui ? Une prière de rue dans un pays laïque est également une provocation, et une démonstration de force énorme. Et je ne parle même pas du fait de transformer en passoire des dessinateurs. Mais c’est vrai que j’aime bien provoquer. Un jour j’ai entendu Michel Onfray dire un truc à ce sujet, que la provocation était une invitation à penser. Je trouve ça intéressant. Même si des fois, c’est simplement cool de provoquer, point barre.

L. V-F. J. – Vous trouvez que les choses changent trop vite ?

L’É. S. – Je trouve surtout que la connerie prend de plus en plus de place.

L. V-F. J. – Qu’est-ce qui cloche d’après vous dans ce monde ?

L’É. S. – Les montres digitales. (rires)

L. V-F. J. – Il y avait quoi en moins ou en plus avant ?

L’É. S. – En plus : des arbres et des animaux. En moins : des gens. Avec de l’humanité surtout. Y’a qu’à voir tous ces numéros de services où l’on tombe sur une boîte vocale sans pouvoir parler à un être humain.

L. V-F. J. – D’après vous la technologie gâche tout ?

L’É. S. – Grande question philosophique… Est-ce l’arme qui est dangereuse ou celui qui l’utilise ? Votre vraie question c’est est ce que c’était mieux avant ? Et c’est une fausse question. Bien entendu – quoiqu’on puisse toujours y mettre des pincettes – qu’au niveau médecine, éducation, pénibilité du travail, les choses ont changé en mieux. Et puis, c’est quoi avant ? Le Moyen Âge ou les années 80 ? En revanche, pour ce qui est du fédéralisme, de l’éducation, de la politesse, du lien social – le vrai, de la violence chez et sur les mineurs, là, je ne suis pas certain qu’il y ait eu du progrès. Mais c’est difficile de parler sainement de ces questions-là avec des êtres humains. En plus d’être de plus en plus incultes, les gens ont la mémoire creuse.

Il prend soudain un regard inquiet.

L’É. S. – Dites… Dans votre canard… Vous comptez vraiment écrire toutes les conneries que je viens de dire ?

L. V-F. J. – (sourire) Pourquoi vous n’assumez pas ?

L’É. S. – Si. Mais vos lecteurs vont se faire chier. Ça ne va pas leur « vider la tête ».

Prétextant un mal au dos, il se lève de son canapé et fait quelques pas, les mains sur les hanches.

L. V-F. J. – Si je comprends bien, et en vous ayant lu, vous ne vous sentez pas à votre place ?

L’É. S. – Ça dépend les moments. Là, avec mes clopes, mon verre et une jolie journaliste en face, plutôt oui.

Bref silence…

L’É. S. – … mais c’est vrai que je vis la plupart du temps dans un monde plus… fantasmé diront nous. En réalité j’adore le look des années 20 à 50. Même si j’ai tendance moi-même à coller plus aux années 90. À cette époque, les types et les nanas pétaient la classe ! On savait parler, et parler été vivant. Ne serait-ce qu’au cinéma. Les films français de ces années-là regorgent de dialogues merveilleux. Depuis Audiard, faut chercher pour trouver deux lignes bien écrites. Mais bon, parlons d’autres choses sinon on va déprimer ! Et puis j’adore le jazz, le blues et le rock, on ne peut plus vraiment dire que ce soit majoritaire… En gros, je suis nostalgique d’une époque que je n’ai pas connu (rires).

Il se rassoit et se ressert un verre. La bouteille est entamée aux deux tiers. Dans la foulée, il se roule une autre cigarette. Nous gardons le silence quelques instants…

L. V-F. J. – OK, Passons à votre livre, Où veux-tu qu’je r’garde ?

L’É. S. – Bon oubliez ce que j’ai dit ! Sinon je vais chier dans mon froc !

L. V-F. J. – Pourquoi ?

L’É. S. – Sans doute parce que je mets trop de moi dans mon écriture… Une fois, on m’a dit que j’étais mystérieux. J’ai trouvé cela extrêmement bizarre, car je me vois davantage comme un livre ouvert. Mais c’est ma façon de travailler. Aussi, lorsque je tombe sur quelqu’un qui m’a lu, surtout un roman, j’ai l’impression qu’il en sait plus sur moi que moi sur lui et… je ne sais pas trop si j’aime savoir ce que lui sait de moi.

L. V-F. J. – Compliquée votre vie…

L’É. S. – Oui hein ? (rires) Je ne vous conseillerais pas d’habiter dans ma tronche.

L. V-F. J. – Alors… Combien de temps avez-vous mis pour l’écrire ?

L’É. S. – Le premier jet a été torché en 45 jours. Ensuite, il y a eu six mois de… finition on dira.

L. V-F. J. – Sur quel support travaillez-vous ? Ordinateur ? Papier ? Carnet ?

L’É. S. – Au début, à 16 ans, beaucoup au stylo sur un cahier d’écolier, puis j’ai eu une machine à écrire électrique. Maintenant, sur un vieil ordinateur qui commence à me lâcher.

L. V-F. J. – Téléphone ?

L’É. S. – Plutôt crever !

L. V-F. J. – Y’a ce mythe de l’écrivain, avec toujours un stylo et un carnet sur lui…

L’É. S. – Ça dépend. J’ai beaucoup fonctionné comme ça lorsque j’ai fait mes premières armes. Maintenant, j’essaie d’inscrire tout ce que je peux dans ma chair. Pas besoin de notes. Et j’y ai accès dès que je prends le temps de me poser devant un clavier.

L. V-F. J. – Votre roman contient des personnages extrêmement bien construits.

L’É. S. – Merci.

L. V-F. J. – Surtout Marc et Lola.

L’É. S. – Ouais, elle est cool Lola. Elle me manque un peu je dois dire…

L. V-F. J. – Comment avez-vous fait pour aussi bien les définir ?

L’É. S. – Je n’ai rien fait du tout, à part me laisser prendre par une certaine ambiance et ne plus la lâcher. Vous savez – je reviens sur cette histoire de blog pour mieux vous expliquer –, ce qui est difficile dans mon cas pour me faire connaître sur internet, c’est que je n’ai pas la démarche de proposer une solution à mes lecteurs, des explications ou des tutoriels. Je ne fais pas non plus de critiques de livres, ou très rarement et simplement pour ranker sur des mots-clefs. Énormément de sites d’écriture ou d’écrivains font vous vendre des formations du genre « Comment écrire un roman en 1 mois » ou « comment écrire votre premier best-seller ». Ce qui est marrant, et hypocrite, donc rageant, c’est que l’auteur de « comment écrire votre premier best-seller » n’a écrit aucun best-seller hormis « comment écrire votre premier best-seller ». Vous voyez l’idée ? Et généralement, on ne peut jamais lire leur travail littéraire. Mais pour donner des leçons ils sont forts. Moi, je prends le risque d’exposer une partie de mon travail gratuitement pour espérer ensuite en vendre un peu… Mais, la « méthode de travail » de ces sites-là me dérangent… Cette façon de tout construire, de dire « dans le premier chapitre je vais mettre ça, dans le second ça, et la fin va être comme ça » ne me correspond pas du tout. Tout structurer d’avance, c’est complètement castrer la créativité, et se limiter à un simple travail de rédaction. J’aime commencer un chapitre et ne pas savoir du tout où je vais. Certes, c’est à double tranchant. Cela peut donner du bon et du moins bon. Mais c’est mon parti pris. Aussi, Lola, j’ai simplement pris ce que j’avais aimé dans les différentes femmes que j’ai croisées, plus quelques autres trucs et, en gros, je me suis tapé le kiff de vivre une histoire d’amour avec la femme parfaite (rires).

L. V-F. J. – Et Marc ?

L’É. S. – Marc c’est moi. Ou disons… Une sorte d’alter ego altéré. Et me prendre moi en personnage est un signe de flemmardise, je sais comme ça que j’en aurais au moins un de bien construit ! Mais tous les personnages du roman existent, d’une façon ou d’une autre. Je n’ai pas assez d’imagination pour inventer totalement un être. Et puis, entre le nombre d’êtres humains sur la planète et le nombre de personnages de fictions inventés, autant me servir comme au supermarché, pas besoin de me prendre la tête pour risquer un truc bancal ! Je n’ai pas du tout comme prétention d’inventer quoique ce soit. Je fais mon taf, et j’essaie de le faire bien, c’est tout.

Nouveau verre et nouvelle cigarette. La bouteille est presque vide, il part en chercher une autre.

L. V-F. J. – Vous fumez beaucoup…

L’É. S. – Énormément. Je fume, je bois, je parle et je mange beaucoup. J’aime beaucoup embrasser aussi. Beaucoup de choses chez moi passent par la bouche (rires).

L. V-F. J. – Une idée d’où ça vient ?

L’É. S. – Oui, mais j’ai appris à le confier à la page plutôt qu’aux gens, surtout aux femmes.

L. V-F. J. – Pourquoi ?

L’É. S. – Parce que ce n’est pas leur boulot de subir mon pathos.

L. V-F. J. – Vous vous protégez beaucoup.

L’É. S. – Mentalement oui. Physiquement… je devrais mettre plus souvent des capotes (rires). J’ai faim. Vous voulez manger quelque chose ?

L. V-F. J. – Pourquoi pas ?

L’É. S. – Du poulet au citron ça vous va ?

L. V-F. J. – Parfait.

L’É. S. – Cool ! Ça sera prêt dans une heure.

Nous migrons vers la table à manger. L’interview se continue alors que l’Écrivain prépare le repas.

L. V-F. J. – Je ne vous imaginais pas faire la cuisine.

L’É. S. – Pourtant avec le coup de fourchette que j’ai, je peux vous dire que c’est le cas ! Mais je comprends, encore un truc démodé que de trouver qu’il est plus important de passer une heure à cuisiner qu’à tripoter un écran. Pourtant, c’est quelque chose que l’on doit faire trois fois par jour toute sa vie, alors si on n’apprend pas à l’aimer… Ça c’est un truc dont je suis fier. Mon fils devait venir à la réunion passer quelques semaines. On s’est eu au téléphone et il m’a fait « Papaaaa ? — Oui mon fils ? — J’pourrais faire la cuisine avec toi ? ». Quand j’entends des trucs pareils, je me dit que je ne suis pas si mauvais père…

L. V-F. J. – Il y a des passages très touchants avec votre fils dans votre livre.

L’É. S. – Pourtant, c’est très difficile à écrire sur son enfant.

L. V-F. J. – Et sur les femmes ?

L’É. S. – C’est différent. Écrire sur une femme exceptionnelle peut être délicat. Heureusement pour moi, l’époque fait circuler dans la rue davantage de filles de moyenne et bas de gamme plutôt que de nanas avec une classe folle !

L. V-F. J. – Et vous ?

L’É. S. – Moi ? Ça ce n’est pas à moi de le dire. Mais disons que j’arrive à savoir et reconnaître les moments où je suis extrêmement minable. C’est de bonne guerre. Vous ne pouvez bien avoir un œil critique sur les autres qui si vous portez un regard impitoyable sur vous-même.

L. V-F. J. – Toujours cette histoire d’hypocrisie.

L’É. S. – Voilà.

L. V-F. J. – Même si je pense connaître la réponse, je peux vous prendre en photo ?

L’É. S. – Je pense que ce serait largement plus sympa pour vos lecteurs de voir votre bouille plutôt que la mienne.

L. V-F. J. – Vous me draguez là ?

L’É. S. – Je sais pas trop… Peut-être. Ça vous dérange ?

L. V-F. J. – J’ai un copain.

L’É. S. – Évidemment que vous avez un copain. Les filles comme vous ne restent jamais longtemps sans copain. Pas avant d’avoir 45 ou 50 ans, d’être complètement dilatée par les grossesses et fripées par les excès. Et là après, bizarrement, elles s’intéressent aux types dans mon genre.

L. V-F. J. – Ouahou ! Vous êtes assez…

L’É. S. – … vulgaire et rempli de préjugé ?

L. V-F. J. – J’allais dire : avec une vision assez tranchée et noire des choses.

L’É. S. – Chacun son chemin de vie. Le mien tant à montrer que les femmes peuvent vous en faire baver. Mais c’est toute l’ambiguïté du discours de l’époque. Vous voulez l’égalité ? Ok, ben alors acceptez que mes propos soient aussi durs envers la gent féminine qu’envers n’importe qui. Comme le dit le proverbe, on ne fait pas de cadeaux à un enfant qui n’est pas sage et… quitte à vivre seul longtemps, j’estime que si une femme se pose le choix de me vouloir ou non, j’ai le droit, moi aussi, de choisir si elle m’intéresse ou pas, et de la mettre au boulot, niveau drague. Pourquoi je serais le seul à séduire ? Pourquoi ne m’ouvrirait-elle pas la porte de la voiture ? Donnant donnant comme on dit… Non ?

L. V-F. J. – Vous le faites-vous ?

L’É. S. – Ne suis-je pas en train de vous faire à manger ?

L. V-F. J. – Vous demandez beaucoup à une femme…

L’É. S. – Trop ! et de moins en moins en même temps… Difficile à dire, cela fait longtemps que je ne suis pas tombé amoureux. Mais… un brin de classe, de douceur et de conversation intelligente, ça me paraît beaucoup demandé par les temps qui courent. Et les filles comme ça sont maquée et ne s’intéressent pas aux gars comme moi sauf…

L. V-F. J. – … quand elles auront 50 ans et seront toutes fripées, j’ai saisi l’idée.

L’É. S. – Voilà ! Quelle facilitude ! Bon (il est tourné vers la cuisinière et couvre la marmite) 20 minutes comme ça à feu doux et ça devrait aller, ensuite la crème… Avec des tagliatelles on sera au top… (il finit son verre de vin, débouche la seconde bouteille et vient s’asseoir en roulant une cigarette). On en était où ?

L. V-F. J. – Comment avez-vous vécu les fêtes de fin d’année ?

L’É. S. – Mal. Mon fils est au Maroc avec sa mère et, comme elle fait trop partie des « gens bien et intouchables » pour proposer à mon fils de téléphoner à son père, je passe seul une fête dédiée à la famille. Les gens sont trop cons et trop égoïstes pour penser au bonheur de leur enfant. L’enfant lui, pense au parent qui n’est pas là, et sinon, le parent sans enfant, lui y pense. Et puis, de façon générale, depuis que je suis ici, ça me passe par-dessus la jambe No hell. J’ai été formaté pour que les fêtes de fin d’année se passent devant une cheminée avec des marrons et des journées raccourcies. Ici, j’ai l’impression de les passer dans une salle de douche à Auschwitz.

L. V-F. J. – (rire grinçant) Vous avez quand même un humour particulier.

L’É. S. – Je vous l’ai dit, j’aime provoquer, et de façon générale, j’adore le huitième degré. Mais, comme pour l’écriture, faut aussi accepter de faire des bides et des vannes pourries.

L. V-F. J. – Justement, vous me facilitez l’enchaînement… Une petite session de questions bateau ça vous va pour finir ?

L’É. S. – Euh… encore un quart d’heure pour le poulet… ensuite les pâtes… ok.

L. V-F. J. – Si vous aviez 3 vœux à réaliser ce serait quoi ?

L’É. S. – Arrêter de me prendre la tête. Arrêter de prendre la tête aux autres. Avoir encore 3 vœux en rab’ histoire de trouver un truc plus intéressant à dire.

L. V-F. J. – Des résolutions pour cette année 2018 ?

L’É. S. – Sinon celles de me maintenir en vie et de continuer à écrire en espérant que ça marche de mieux en mieux, non. Fin 2018, en revanche, suivant le chemin accompli, il va y avoir une sacrée remise en cause.

L. V-F. J. – Pourquoi ?

L’É. S. – Je suis passé à côté de l’enfance de mon fils et, vu l’époque, je ne tiens pas à passer à côté de son adolescence. Je préfère qu’il apprenne comment se comporter avec une femme en écoutant le peu que sait son père plutôt qu’avec des sites pornos. Par exemple… Dans l’ensemble, je veux que mon fils soit un homme libre, ce qui signifie une tête bien pleine. Alors, si d’ici un an, le blog et la vente de livre ne me permet pas de payer plus de billet d’avion pour le voir, et bien… je me dirais que j’aurais essayé de mon côté, mais que ma vie de père maintenant doit prendre le pas sur ma vie d’homme.

L. V-F. J. – Quel est votre plus gros cauchemar ?

L’É. S. – Ma vie.

L. V-F. J. – Les 3 plus belles satisfactions de cette année 2017 ?

L’É. S. – Avoir vu sourire mon fils. Avoir souri. Ne pas être mort.

L. V-F. J. – Quoi de prévu pour 2018 ?

L’É. S. – Voir sourire mon fils. Sourire. Ne pas mourir.

L. V-F. J. – Une expression qui vous énerve…

L’É. S. – Hormis celles qu’il y a dans le premier chapitre du livre euh… « mettre à jour son logiciel » quand on parle des gens, de leur façon de penser. C’est une expression à la mode dans les emissions politique et elle commence vraiment à me gonfler. Ça n’a l’air de rien cette phrase mais elle nous enlève un truc primordial que n’ont pas les machines : les émotions.

L. V-F. J. – Et une que vous aimez…

L’É. S. – Que l’homme soit jaune noir ou blanc, ses larmes sont toujours salées. C’était dans un film.

L. V-F. J. – Un dernier mot à dire pour nos lecteurs ? Un conseil ?

L’É. S. – Achetez mon livre (rires) Sinon… non. Je me bats pour être libre et ne pas subir le pouvoir des autres mais, vu le résultat actuel, je ne vais pas me placer en Grand Conseiller Pour Une Meilleure Humanité. La religion et le politique le fait déjà suffisamment.

L. V-F. J. – Et bien merci.

L’É. S. – De rien. Allez maintenant, place à la bouffe !

(Entretien réalisé le 6 janvier 2018. Disponible en intégralité sur le site du Journal Quotidien de Bourbon.)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Évaluation*