Une de la semaine

Chronique Souterraine #3

….

….À 19 ans, le cœur arraché par une gonzesse qui ne lui avait pourtant pas fait grand-chose, François prit une tondeuse, rasa ses cheveux longs (symbole complètement con d’un nouveau départ) et se mit à pointer du pouce sur la route, accompagné du vieux sac à dos de son père. N’y connaissant pas grand-chose mais un peu tout de même, il avait embarqué quelques fringues, une vieille tente, un sac de couchage, un peu de liquide, un réchaud à gaz, un carnet avec de quoi noter et deux livres de poche : Bubble Gum de Lolita Pille et Souvenirs d’un pas grand-chose de Charles Bukowski.
….Originaire du Sud, son idée fut de partir vers le Nord – par facilité linguistique et parce qu’il n’était jamais monté plus haut que Lyon – ce qui n’allait en rien se montrer facile vu qu’au nord y’avait les montagnes et que l’hiver approchait.
….François était un jeune homme totalement paumé, faible, peureux, et se trouvant très laid.
….Aux abords de Sisteron, il fut pris une première fois en stop par un type conduisant une Renault 4. Le type avait des dents d’ogre, des cheveux blancs bouclés coiffés en arrière et était plus laid qu’un tableau de Picasso.
….« Je m’arrête vers Tallard, dit le gars.
….– Ok, fit François. »
….François n’avait aucune idée d’où se trouvait Tallard, mais du moment qu’il dégageait loin de ces traumas, ça lui allait.
….La conversation tourna un moment autour de tous les sujets chiants que constitue la convention de l’auto-stop : tu viens d’où ? Tu vas où ? Pourquoi ? etc.
….Puis à un moment donné, le gars très laid au volant de sa 4l cracha le morceau, les yeux alternant entre François et la route, avec à peine un soupçon d’hésitation dans la voix.
….« Excuse-moi de te demander ça mais… ça te dérangerait si je te suce ?
….– Oui.
….– Même si je te file vingt euros ?
….– Même ma copine ne me suce pas. »
….C’était un menteur parce qu’il n’avait pas de copine, n’avait jamais été sucé, était toujours puceau et de toute façon trouvait la fellation répugnante. Son avis changera avec les ans…
….Mais pour le moment, il se trouvait bien dans la merde, enfermé-là dans cette boîte en fer lancée sur la Nationale, avec l’ogre très laid qui en voulait à sa queue – ayant bien senti que François était tout sauf un mec courageux qui en avait dans le ventre.
….« Arrêtez-moi là.
….– T’es sûr ?
….– Oui, je suis sûr.
….– Comme tu voudras. »
….Le « là » en question ne trouvait être une plaine au milieu de nulle part. Mais François avait les foies. Et il eut du bol que l’ogre très laid s’arrête. Il ne devait pas être très courageux non plus pour un ogre. Une fois la voiture arrêtée, au moment où François ouvrit la portière, l’ogre lui mit la main au paquet. Même s’il racontera plus tard qu’il écrasa la tronche de l’ogre sur le tableau de bord, François enleva simplement la main de ses couilles, sortit de la bagnole, ne se rendant même pas compte du bol qu’il avait de s’en tirer sans casse. Le type et sa Renault 4 démarrèrent aussi sec.

….Moins de cinq minutes et trois clopes après, une autre voiture s’arrêta. Une AX toute pourrie et grise conduite par deux touristes allemandes d’environ trente ans (donc des vieilles).
….« Salut, tu vas où ? demanda la conductrice dans un français impeccable, très légèrement accentué.
….– Par-là, répondit François.
….– Nous aussi, monte. »
….Après l’épisode de l’ogre, François se sentit vachement soulagé de tomber sur les filles. D’une part parce qu’il avait peur que l’ogre revienne et puis, les nanas sont tout de même bien moins tarées que les mecs, en général. Pas sur les mêmes plans en tout cas. La conductrice s’appelait Katia, elle avait des lunettes, les cheveux châtain, plutôt jolie et parlait très bien français. La passagère elle, Tania, outre le côté sympathique, aurait fait une bonne ogresse : Brune, grande, laide, costaude, poilue, ne causant que dans sa langue râpeuse. La conversation se fit donc tout naturellement entre Katia et François. Katia se contentant de temps en temps de traduire le français pour Tania, ou de traduire les questions de Tania pour François. Là où il se sentait con, c’est quand les deux jeunes femmes se marraient en allemand sans qu’il y pige que dalle (test de Bechdel réussi pour cette chronique). En bon parano, il croyait qu’elles se moquaient de lui. François avait l’habitude qu’on se foute de lui.
….Après une petite heure de route, la voiture s’arrêta à Serre-Ponçon, au bord de l’immense lac artificiel qui avait englouti le village historique pour permettre la mise en place d’un barrage hydroélectrique. C’est sur les rives de cette ville fantôme masquée que Katia demanda à François s’il voulait passer la soirée avec elles. Il accepta volontiers. Même l’âme dans une immense confusion, il ne pouvait s’empêcher de sourire. Même si la journée était très mal partie, après tout, elle se continuait plutôt bien et, il avait l’impression de vivre une certaine aventure. Ça le consolait un peu.
….Le moment le plus étonnant fut sans doute lorsque Tania et Katia lui proposèrent d’aller à la nage sur l’ilot là-bas, à bien un demi-kilomètre. Déjà d’un tempérament peu chaud pour faire trempette, François n’était pas non plus bon nageur. « Je fume ma clope tranquillement et je vous rejoins. – Ok. » En mois de temps qu’il n’en faut pour rouler une tige sans filtre, les deux filles posèrent leurs affaires et se déloquèrent. Comprenez-moi bien, en plein mois d’Octobre sous le second mandat de Chirac, elles s’étaient mises COMPLÈTEMENT À POIL !! François n’avait jamais vu de fille nue, hormis dans les Playboy qu’il piquait chez le marchand de journaux au collège, ou les quelques films pornographiques que ces potes arrivaient à enregistrer sur Canal+ – ceux dont les parents avaient l’abonnement bien entendu. Alors, là, comme ça, c’était étonnant, presque flippant, carrément intrigant… surtout cette masse touffue au milieu…
….Bref, voilà les Allemandes à la flotte et lui qui essaie de se remettre les idées en place. Pas évident, vraiment pas. Lui qui ne savait même pas à l’époque où se trouvait le nord, les femmes étaient pour lui un mystère, peut-être pire, un royaume fantasmé, inaccessible et effrayant.
….Moins dans l’idée de les culbuter une fois sur place que celle de ne pas perdre la face devant deux gonzesses, François s’arma de courage durant dix minutes puis jeta à la flotte pour se mettre en nage direction l’ilot. Erreur… Outre un petit psychotage qui lui revint en tête (une phrase du commandant disant que si tout le monde savait ce qu’il y avait dans ce lac, plus personne n’irait), comme je l’ai dit, il était très mauvais nageur, et la clope d’avant ne lui avait pas fait du bien au souffle. À peine avait-il traversé un quart du trajet que ses poumons et ses muscles se transformèrent en torche. Comme tous les inexpérimentés un peu flippés dans ces cas-là, François se raidit et, lorsqu’on se raidit dans l’eau, on coule. Alors il se mit à couler et, par instinct, à se débattre et donc bu la tasse davantage. C’en était parti pour être sa dernière brasse. « François pauvre con, qu’il se dit, tu vas crever ici au milieu d’un lac merdique et tout le monde s’en foutra. Mourir puceau, t’imagines ? Toi qui rêvais tant d’amour. » Il voulut gueuler à l’aide, l’eau des algues entrant dans sa bouche pour en étouffer les cris. « Bon, t’as pas le choix : soit tu utilises tes dernières forces pour gueuler et on te retrouvera au fond de l’eau à moitié bouffé par les créatures de Cousteau, soit tu te mets un coup là où je pense et tu regagnes le rivage. Tant pis pour les meufs, la fierté et leurs poils de chatte ! »
….Dans un effort digne d’un Rocky Balboa, François fit demi-tour et réussit à gagner la rive… pour y rester allongé en croix à mâter les cieux durant vingt bonnes minutes. Il aurait même pu se mettre à croire en Dieu à ce moment-là, mais la prière lui avait toujours semblé une activité trop contraignante et totalement crétine.
….Lorsque les filles le rejoignirent, il n’osa ni se rincer l’œil ni parler de ses exploits, encore moins demander comment c’était là-bas.
….La nuit tombée, ils firent un petit feu (à cette époque encore, les flics ne vous tombaient pas sur le coin de la gueule à la moindre étincelle), burent quelques bières allemandes et mangèrent des conserves. Tania alla se coucher tôt, Katia et François se rapprochèrent pour éviter de trop lever la voix. Est-ce que qu’Katia aurait été partante pour coucher avec lui pour la nuit ? François se pose la question chaque fois qu’il repense à cette période. Toujours était-il qu’après une longue, très longue discussion, personne n’osant lancer le sujet, chacun regagna sa tente et s’endormit.

La suite la semaine prochaine… (mais vous avez quand même le droit d’aimer et faire tourner)

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