Une de la semaine

Mon cul, les deux chaises et le beau bar

    Quelque chose comme huit mois, plus peut-être, sont passés sans que rien ne soit publié sur le blog. Cela marque aussi ma plus grande séparation d’avec le clavier – et l’écriture en général – depuis plus de cinq ans.
    Je crois que c’est une bonne chose.
    Il faut savoir se laisser quelques aérations. Avec le temps mes lignes souffraient – je crois – d’une certaine redondance, d’une certaine lourdeur de thème, d’un je tourne en rond dans mon crâne et ne sais plus vraiment ce que je suis venu chercher, ni comment le formuler et encore moins l’interpréter.
    Cette absence est en partie due à cette histoire de gilets jaunes. En se réveillant, les gueux fluorescents de la province m’ont carotté mon fonds de commerce. En effet, je commençais à avoir une belle petite succession de chroniques sur la réalité sociale vue du Souterrain – donc boulots de merdes, logements de merde, emmerdes avec la banque, les femmes et les chaussettes trouées –, c’est-à-dire à l’exact opposé de celle d’un bobo métropolitain diplômé, bien placé, bien pensant, vêtu d’un sarouel de coton bio (équitable évidemment) valant plus d’une journée de travailleur précaire ou de modeste artisan (le sarouel, pas le bobo).
    Après la révolte de novembre, l’idée de continuer tel quel m’aurait donné l’impression de surfer sur la vague, et ça n’aurait pas été convenable. Alors je cherche autre chose de plus… comment dire ?… philosophique peut-être. Ouais, peut-être que le temps est venu d’être un peu plus philosophe. Mais attention, pas de la philosophie chiante, blindée de mots obscurs, de concepts uniquement là pour faire bander les universitaires, non. Une qui tente de comprendre le bordel dans lequel on est (moi en premier) et – surtout – qui tente d’y trouver une réponse, une approche pour y vivre sans penser tous les jours au suicide, au meurtre ou à l’autodestruction (qui n’est qu’un suicide meurtrier à long terme). Le tout sans se poser là en soldat de la moraline ou en Môsieur Je-Sais-Tout. Car par expérience personnelle, je dirais que ceux qui croient tout savoir sur tout ne comprennent rien à rien.
    (petite parenthèse : vu la répression sanglante infligée aux gilets jaunes, si le peuple aliéné n’est pas encore trop stupide, cette révolte sera la dernière menée dans les règles de l’art, c’est-à-dire avec manifestations, blocages et tout le bordel. si le Pouvoir n’y entend rien, comme c’est le cas dans toute dictature, la prochaine révolte se fera armée. la guerre civile ne sera alors pas loin étant entendu que le Pouvoir, encore lui, ne se laissera pas faire. on a le système politique qu’on mérite…)

    Avec Mary nous avons quitté la Réunion fin mai. Mon fils a eu 11 ans et, après 5 années d’absence, il était assez urgent de rentrer, pour lui, pour moi, pour nous. Mary m’a suivi. Je me demande encore pourquoi ?
    Retour en Provence natale donc, pour moi, et découverte du vieux continent, pour elle. À noter que la fin du printemps n’est pas la plus dégradée des saisons pour découvrir ce pays.
    J’ai réalisé que les pierres blanches (dites lauzes), les chênes, le thym sauvage et la bonne bouffe du sud m’avaient manqué plus que je ne le croyais. Je me serais en revanche bien passé des provençaux mais que voulez-vous, ils sont là alors faut composer avec.
    Mary, elle, est tombée amoureuse de ce pavot rouge qu’elle appelle le cocolico. Je trouve ça mignon.
    Ce retour s’est plutôt bien goupillé. Je bosse, déjà, à la ferme où j’étais apprentis, il y a treize ans maintenant. Une sorte de retour aux sources de ce qui reste, pour moi, la plus belle période de ma vie même si, comme toutes les belles périodes, j’en ignorais la douceur à ce moment là.
    Nous avons trouvé également un logement, pas loin et peu cher. Je peux donc me rentre à pied au travail, en passant par les prairies.
    Ce retour au travail m’a été bénéfique. Je me lève tous les jours ou presque à 6 heures et demi du matin (ci ce n’est pas l’heure à laquelle je sors les chèvres en pâture), j’ai du temps pour faire la sieste, on a accès à un petit jardin, on a commencé à planter des trucs, bref, ça se goupille bien. Tellement bien que je me demande d’où viendra la prochaine galère ? Et de quelle force elle frappera ?
    Tient, voilà un exemple ­– personnel – de naturel déséquilibré, et de comment chercher à le dompter pour ne plus craindre son retour au galop, ou alors de temps en temps, le laisser sortir à des moments choisis, sans entraîner trop de dégâts. Le fantasme serait de parvenir à devenir une sorte d’homme souterrain, total, même s’il faut se poser la question de l’utilité d’un tel genre d’homme avec de telles valeurs (encore à définir) dans un monde qui tend à les éradiquer toutes au profil de la seule valeur monétaire détenue par un homme dégenré.

    Ça n’a pas été facile pour autant de quitté l’île. 
    Et je réalise combien cela marque la fin d’une époque pour le commencement d’une autre.
    Malgré moi, je me suis attaché à des gens, et à des lieux. Et, à ma grande stupéfaction, je me suis découvert aimable, des gens et des lieux se sont attachés à moi. J’ai même fait partie de l’aventure de certains d’entre eux. Je pense bien évidemment au Toit. Ce bar unique me manque déjà, et j’espère y retourner un jour, avant qu’il ne ferme et ne soit changer en barber shop, en snack, en magasin de cigarette électrique ou tout autre débilité du style. J’imagine déjà la scène : Je taperais au rideau déjà baissé, une bouteille d’absinthe à la main, et ce serait la joie des retrouvailles, sous le plafond bas, les cartes postales de l’huile Smith ou de Josiane Tabasco, sous l’œil des figurines de Georges Brassens, Goldorak et Ma Dalton.
    J’aime cet endroit, c’est tout. Entre Toit et moi, on a prit le temps de se connaître, de s’apprivoiser, de s’apprendre, et la fidélité a fait le reste. Rarement je n’ai eu d’au revoir aussi serrant, mais il était bien fait. La dernière soirée reste en moi un souvenir fort et émouvant.
    Et puis y’a Charlie aussi, surtout. Les parties de Mario Kart dans son magasin de t-shirt, ces histoires qui m’ont permis d’écrire beaucoup des miennes, et tout ce qu’il y a autour, indescriptible, sans mots capables de rendre la puissance de ce que je ressens pour ce mec. Ce n’est qu’un au revoir mon frère.
    Dans ces moments là, je rêve de science fiction. Et en pur égoïste, j’aimerai téléporter Charlie et le Toit dans mes collines, fracturer les dix milles kilomètres qui nous séparent maintenant et les retrouver tous, autour de ce beau comptoir de bois, à s’empiffrer des fromages que j’aurais apporté, accompagner de quelques olives et d’un peu de charcuterie, tout en mélangeant le Picon, le pastis et un rhum arrangé, sans oublier la Tuile, la bière du Toit, unique recette au monde dont je garderai le secret du mélange, ainsi que celui du Despéredj, le cocktail du patron à base Despérados.
    Décidément, cette saloperie de nostalgie me prend vite lorsque je pense à cet endroit et aux hommes qui la composent, qu’ils soient personnels ou clients. Redj, Lio, Charlie, Malik, et puis Léo, sans oublier Gab, Mowgli et les autres, les livres vendus là bas, les culs des filles matées, les gueules dans la cuvette des chiottes tatoués à dégueuler ses tripes, les rires, les tensions, les silences et les délires. Vive vous, et vive Toit !

    Ouais, il va y en avoir des choses à traiter, à raconter, et à éclaircir. De tous ces sentiments qui nous traversent, comme autant de lumières ou de piques, et des stratégies que chacun met en place pour les résoudre, les affronter ou les fuir, selon ses outils du moment, son histoire, ses aspirations…

    Je disais tout à l’heure que c’était la fin d’une époque et le commencement d’une autre.
    On peut dire que c’est la fin de l’Écrivain Souterrain tel qu’il était et tel qu’il fut créée : perdu, désespéré, à quoi bonniste, mort intérieurement, sans autre but que la description par la plume de tout ce qu’il voyait et vivait. En un mot : nihiliste. Et tout cela à cause d’une morue ! Rendons lui cette hommage, ce n’est pas rien de réussir à détruire quelqu’un.
    Cette période traumatisante de ma vie m’aura perdu et il est temps, je le sens et le ressens, de me trouver, de me construire – enfin – et de transmettre à ceux qui le voudrons bien ce que j’ai appris et apprend encore afin qu’eux – peut-être – trouvent dans quelques unes de mes lignes certaines bouées les empêchant de couler.
    L’avenir du Souterrain est donc posé. Ou du blog l’Écrivain Souterrain plus précisément. Ce mono thème ne me correspond plus, trop restrictif. Je ne suis pas – je ne suis plus – qu’écrivain. Je suis un homme, un père, un compagnon, un ami, un fils, un frère, un citoyen, un jardinier, un curieux, un anxieux, un chercheur, un mélomane et tout le reste. J’ai envie de redevenir un boxeur, un constructeur, un apprenti, un gars qui cherche à savoir ce que ça veut dire être un gars, savoir, connaître, et transmettre, je l’ai dit. L’idée d’un Homme Souterrain n’est pas loin et reste encore à approfondir.
    Pour toutes ces raisons, il ne peut y avoir qu’une évolution. Elle est nécessaire, logique, voire même indispensable par les temps qui courent. On sait ce que l’on quitte, on ne sait jamais ce qu’on va trouver exactement, c’est ce qui rend la chose intéressante je suppose… Nous en reparlerons. Prenez soin de vous et des vôtres, ou en tout cas, essayez. Quant à moi, je retourne à mon travail. Il est 5h30 du matin, le soleil s’éclaircit, les oiseaux le chantent et les chèvres m’attendent.

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