Une de la semaine

Chronique Souterraine #35 – Je trouverai un titre à cette chronique plus tard

      Bordel ! Il est 14 heures 43, Mary débarque de son boulot dans une heure, les Gilets Jaunes fêtent leur un an de gazages, tabassages, arrachage de mains et d’honneurs, d’yeux crevés et de vies vaincues et je suis là, ma première bière ouverte, à me prendre la tête à écrire enfin quelque chose tout en pleurant la perte de mon unique donateur sur Tipeee. 92 cents de perte sèche dans mes revenus !
       Si l’expérience de Mort Instantanée existe, je suis en train de la vivre. Plus je tente de me montrer brave, mature, respectable, bosseur, intègre, réfléchi, conscient et tout le blabla autour du « brave mec adulte agissant en bon père de famille », plus je me sens me liquéfier, paniquer, débile, faible. Mon cerveau devient une sorte de photocopie de diarrhée d’humain sortie d’un trou du cul non identifié.
J’ai goutté ces deux derniers jours à mon premier vrai week-end depuis des lustres. Qu’est-ce que j’entends par « premier vrai week-end depuis des lustres » ? Ce bref instant de deux jours où tu n’as aucune autre obligation à part celle de préparer ton corps à retourner au charbon dès lundi. Ah oui, j’ai changé de boulot ! Pas eu – ou pas pris – le temps d’avoir parlé des chèvres que je me trouve dans le maraîchage. Putain que ce taf est dur ! Dès la première heure du premier jour, j’ai dû me coltiner de nettoyer des poireaux trempant dans des bacs d’eau glacée. Le reste du temps est du même ordre, crasse, froid, cassage de reins et mains fracassées. Le tout pour 11 euros bruts de l’heures, la promesse d’un CDI et pas de vacances en été. Il paraît que j’ai de la chance…
       Bien entendu, je force un peu le trait. Tout ne va pas si mal. Je me rappelle un pote du lycée une fois au téléphone :
       Lui : Tu écris en ce moment ?
       Moi : Non.
       Lui : Bon ben c’est que tu vas bien alors !

Et pendant ce temps des
lapins fluos sous les gaz
courent pour échapper
aux Terminators zombies
qui veulent leur peau.

       J’en reviens à cette idée de premier week-end.  Depuis qu’Aurélie m’a quitté, doit-y avoir plus de six ans maintenant, entre les asiles, la police et les bars, finalement, j’ai réussi à m’en tirer en touchant une pension pour dinguerie, une condamnation pour dinguerie dangereuse et du temps libre pour écrire, rien foutre, baiser, picoler, et écrire encore sur le fait de rien foutre, baiser et picoler. Le tout en me prémunissant de retourner flirter avec le patronat. Ça m’a rapporté un peu, prit beaucoup et finalement c’est fini. Me revoilà dans la tambouille du malaise populaire, où la différence entre avant et après se résume à 300 euros et un corps fatigué qui se couche tôt. Mes quinze kilos de gars durement gagnés par 5 ans de biture et de dépression ont fondus en 6 mois. Tout est à refaire héhé !
       En parlant d’Aurélie… La dernière fois j’ai emmené le Petit à la fiesta de sortie du cancer d’un camarade à lui. Les parents avaient organisé ça au King’s Parc, une sorte de hangar avec des jeux pour enfants, des parcours matelassés, des bassins à bulles. Bref, tandis que le gamin jouait avec les autres gamins, et comme l’intérieur contenait trop de néons et de bruits pour moi, j’ai passé le plus clair de cette après-midi à me les geler dehors en fumant clope sur clope en alternant les lectures de Paul Valery (Regards sur le monde actuel) et Bukowski (Correspondances). Je parlerais peut-être une prochaine fois de ces deux-là, avec un petit lien Amazon dedans histoire de vous poussez à consommer du grand capital et gratter quelques centimes pour cette collaboration au passage. DONC, comme la terrasse où je me tenais était devant l’entrée/sortie de la boîte de conserve molletonnée, les gens allaient et venaient, sans faire plus attention à moi que je ne faisais attention à eux. Et à un moment cette femme est sortie avec sa fille. Et j’ai cru reconnaître cette voix que j’avais tant aimée. Alors j’ai levé les yeux, et j’ai cru reconnaître cette gueule que j’avais tant aimée. Et avant que je me rende compte que ce n’était pas elle, mes cellules, dans leur grande mémoire, ont fait partir mes émotions plus vite qu’un pet de canari après une bonne ventrée d’haricots. Toutes mes illusions du genre « j’ai fait mon deuil, je suis guéri d’elle, j’ai lâché prise et tout le tralala », tout ça s’est retrouvé par terre en un quart de seconde. Je me pensais être devenu plus fort que ça, j’avais tort. Cependant, et j’en finirait par là pour cette fois, je suis content d’avoir eu tort.
       Déjà parce que je me suis rendu compte (pas tout seul mais grâce à des lectures du hasard) que tout le manque et toute la douleur que j’ai pu avoir après cette séparation n’était que le revers de la pièce où se trouvait tout l’amour que j’avais pour cette grue. Je n’avais simplement pas pris conscience à l’époque de cette simple règle du jeu : si je voulais vivre cet amour, il était normal que j’accepte la possibilité du chagrin qui en découlerait. Si le bonheur était quelque chose de normal, durable et régulier, on ne l’appellerait pas « bonheur » mais « normalité ». Par extension, faire le deuil de cette amour reviendrait à oublier à quel point j’ai pu ressentir d’émotions pour cette femme, que ce soit en tendresse, amour, admiration et bienveillant (et triques d’enfer) qu’en haine, révolte, trahison et dégoût. Je m’étais persuadé d’être devenu un robot intellectuel blindé de toute émotion. J’avais tort, et c’est tant mieux, me voilà redevenu humain. Amen.

       (PS : à voir le nombre de paquets cadeaux que le père de l’ex cancéreux à mis dans son coffre, organiser ce genre de fête me parait une bonne idée pour aménager la chambre du gamin…)

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