Une de la semaine

Chronique Souterraine #21

….1.

….— Quelle heure il est ?
….— Un peu plus de trois heures et quart.
….Le briquet de Paul craqua dans la nuit lorsqu’il alluma sa cigarette.
….— Bon ben allons…
….Les deux hommes se positionnèrent de part et d’autre du cadavre puis le soulevèrent en le prenant par les pieds et les mains.
….— Merde, dis Pierrot, il beaucoup moins lourd que ce que je pensais !
….— Y’a déjà cinq bons kilos d’hémoglobines à lui qui tapissent le carrelage du salon. C’est pas rien 5 kilos.
….— C’est vrai.
….Ça avait commencé par un vol de bières cette histoire. Pierrot venait tout juste d’emménager dans sa collocation depuis 48 heures lorsqu’un matin il s’est rendu compte qu’on lui avait vidé la bière de son frigo. Puis, en passant une main par la fenêtre, le voleur avait raflé son tabac, son téléphone, son briquet et même son cendrier de plage. Un petit truc tout pourri et tout rouillé.
….Ambiance pour un emménagement…
….Le voleur ensuite, était entré dans la chambre de Paul, tandis que celui-ci dormait, et s’était rempli les poches de son appareil photo, sa tablette ainsi que son sirop de menthe (Paul buvait beaucoup de sirop de menthe le soir)
….Comment cela avait-il pu se produire ? Simplement parce le propriétaire, un chinois, leur avait loué un appartement qui ne fermait pas à clef. Une simple grille et c’est tout.
….— C’est tranquille ici.
….Tranquille… tu parles ! Pour le voleur ça voulait surtout dire « libre-service avec entrée gratuite »
….Paul voulait appeler les flics. Pierrot l’en découragea. Il n’aimait pas les flics. Mauvaise expérience avec cette milice d’état…
….Alors ils lui étaient tombés dessus un soir, à sa troisième visite. À la seconde le voleur avait pris le micro-onde, Pierrot en avait déprimé, Paul s’en foutait, il cuisinait.
….Donc ils lui tombèrent dessus lors de la troisième visite. Du départ l’idée s’était de lui foutre une raclée, mais ça a foiré et le voleur s’est retrouvé par terre avec la machette 32 Dumas de Paul plantée dans le gosier.
….— Oh Putain Paul ! Mais qu’est-ce que t’as fait ?
….— Qu’est-ce qu’ON a fait tu veux dire ? On a débarrassé le quartier d’un enculé de voleur, voilà ce qu’on a fait ! On est d’utilité publique mon pote, des citoyens modèles, des exemples à suivre. Allez, buvons un coup pour nous remonter le moral, puis on va s’occuper de lui.
….Ils burent un coup pour se remonter le moral puis s’occupèrent de lui…
….Une fois le type saisi, ils le mirent dans le coffre de la bagnole de Paul, et roulèrent dans la nuit bien entamée jusqu’au pont de la rivière du parc zoologique. Paul connaissait la combine, il y bossait au parc.
….— On le balance et avec le courant, le corps va passer devant les girafes, puis les singes, et enfin les crocodiles. Ils vont se régaler !
….— T’es sûr de toi ?
….— Certain, c’est comme ça qu’on leur donne à manger.
Ils balancèrent donc le corps et le virent disparaître dans l’eau noire.
….— J’ai besoin d’un verre…
….— Je connais une boîte de nuit pas loin, le patron est un ami. Viens, on fera le ménage dans le salon après.

….2.
….— Quelle heure il est ?
….— Un peu plus de sept heures et quart.
….— Tu veux qu’on aille prendre un petit déjeuner en ville ? Croissant, café et tartine de beurre avec de la confiture de myrtilles ?
….— Avec plaisir.
….Aude et Fabien prirent le temps de se regarder encore un peu, de se sourire, de s’embrasser et de serrer encore un peu leurs corps nus l’un contre l’autre, lovés sous une bonne couverture, dans l’air frais du matin. Fabien avait 22 ans et Aude – la petite accordéoniste comme il l’appelait – louvoyait autour des 30 ans. Ils s’embrassaient comme ça depuis une nuit.
….Ça avait commencé par un départ commun dans le Verdon. Un weekend. Aude plaisait à Fabien, Fabien plaisait à Aude (il le savait par une amie commune) sauf qu’ils n’en avaient jamais parlé. Étudiants tous les deux dans un internat agricole, ils s’étaient rencontrés là. Fabien était célibataire depuis peu.
….Aude gara son Renault Trafic emménagé sur le parking, embarqua Fabien avec son sac à dos, une valise de bière et une bouteille de vin des coteaux d’Aix, puis ils décollèrent pour Moustier Sainte Marie, un petit village situé pille en face des gorges du Verdon. Désert l’hiver, surpeuplé l’été par les touristes, impraticable durant six mois pour les habitants. Là, nous étions en mai.
….Y’a pas grand-chose à dire sur le voyage, sinon qu’ils blablatèrent tout le long avec plaisir pour faire filer les deux heures de route. Fabien aimait de plus en plus Aude. Pour le moment, il ne lui trouvait qu’un seul défaut : elle écoutait du reggae. Mais elle était cool, souriante, plutôt jolie et fermière. La dégaine un brin gitane aussi, craquante comme un légume bien cuit, « à la dent ». Et comme tout bon plat, Aude était pleine de couleurs, éclairée, on la mangeait d’abord avec les yeux.
….Arrivés dans la salle municipale où se déroulerait le concert, et après avoir pris une bière dans un gobelet en plastique, Aude et Fabien retrouvèrent des potes à eux, dont Nico, un petit gars trapu, constamment flanqué d’un bonnet et le regard plus triste qu’une pluie nocturne. Y’a des êtres comme ça, même entourés par la foule, ils ont le sentiment d’être seuls depuis qu’ils sont nés. Procédé de fabrication.
….Aude plaisait à Nico, ça se voyait.
….Enfin les musiciens entrèrent en scène et le concert débuta. Poum Tchak, un groupe de swing sous amphétamine. Des virtuoses. Tous. Après deux morceaux, la salle était en feu et le public en transe. Aude et Fabien dansaient à s’en faire péter le corps. Enfin… Aude ondulait avec grâce, comme savent le faire les femmes qui ont le swing collé à la peau, Fabien lui gesticulait comme il le pouvait. Mais c’était bon, putain que c’était bon ! C’est à l’entracte que Fabien aperçut Malo, son premier grand amour. Son cœur dégringola l’escalier. Malo avait pris des seins, des hanches, son strabisme avait disparu. Elle était sublime. Fabien ne l’avait jamais oublié, Malo était passé à autre chose depuis longtemps. Malo échangea quelques mots vite fait puis se tira. Fabien se rua au stand de bières pour noyer un peu la douleur et retrouver Aude qui discutait avec Nico.
….— Ça va ?
….— Comme un printemps sans fleur.
….La mémoire… cette merde !
….Le concert recommença. Salle en transe, ondulations d’Aude, gesticulations de Fabien. À un moment il saisit Aude par la taille et l’approcha pour l’embrasser.
….— Même pas en rêve.
….Fabien fit ok des épaules se retourna vers la scène et repris sa danse d’exorcisme. Moins de deux minutes après ce râteau, Fabien sentit la poitrine d’Aude coller à son dos et ses mains parcourir son torse. Les femmes…
….Ils se roulèrent leur première galoche en musique. Deux rangs plus loin, Nico les vit, le cœur fendu à la hache.

….Une fois le concert fini, Aube et Fabien, indessoudables, se calèrent au bord du lac de Sainte Croix et s’endormirent à la belle étoile, ivres et heureux sous une chaude couverture à carreaux. Au petit matin, ils se réveillèrent en même temps, ils se dire bonjour des yeux et firent pour la première fois l’amour, lentement, tranquillement pour évaporer le manque de sommeil et les vapeurs d’alcool. Sous l’emballage, Aude n’était pas si bien foutue. Au toucher, ses seins semblaient des figues trop mûres, molles et flétries. Et elle avait cette façon d’embrasser… pénible… de claquer les dents pour lui couper la langue en deux. Sans doute une façon de lui dire que le nettoyage d’amygdale n’était pas son truc.
….C’est après avoir joui qu’ils découvrirent être cernés par les pêcheurs du dimanche. Ils sourirent, moins gênés qu’eux.
….— Tu veux qu’on aille prendre un petit déjeuner en ville ? Croissant, café et tartine de beurre avec de la confiture de myrtilles ?
….Cette histoire s’arrêta le soir même.

….3.
….— Quelle heure il est ?
….— Un peu plus de dix heures et quart.
….— Cool, on a géré pour une fois, la bouffe servie avant minuit, un record !
….— C’est grâce à Cécile, elle a donner rencard à Marc et Sarah avec deux heures d’avance. Comme d’habitude ils sont partis avec deux heures de retard, alors pour une fois ils étaient à l’heure, et on a pu venir te chercher dans la foulée.
….Ils étaient tous là les copains, au bord de la rivière, constamment en train d’essayer d’éviter la fumée du feu de camp. Tous étaient des apprentis agricoles. Tous avaient ramené un petit quelque chose de la ferme. Résultat : vins, génépi, jambon cru, fromage de chèvres, miel, salade verte, pommes de terre et petits légumes, demi-meule de fromage à raclette et pain de campagne. Marc s’occupait de la raclette. Sur une pierre plate posée à côté du feu, il laissait tranquillement fondre la demi-meule de fromage puis raclait la partie fondue et la posait sur du pain grillé. Un délice. Sarah, sa petite amie, faisait-elle revenir dans une poêle les fromages de chèvre pour les disposer ensuite sur des feuilles de salade. Loïc s’occupait de trancher le jambon tout en surveillant les patates mises au feu enroulées de papier d’aluminium, Cécile débouchait les bouteilles de vin et Aurélien jouait de la guitare, un joint d’herbe planté entre les lèvres.
….— On est pas bien là les copains ?
….— Ouais. On est des privilégiés.
….— Eh Aurel’, fait tournée un peu le pétard !
….— Voilà, voilà.
….— Attention chaud devant !
….— C’est vraiment une tuerie tes fromages Sarah ! Et crémeux comme il faut !
….— Ouais, Sarah ‘mollit haha.
….— Je vous aime les copains, j’aimerai que ça dure comme ça toute la vie, faudra jamais se perdre de vue.
….— T’es bourré surtout !
….— On se séparera jamais, on est trop forts ensemble pour que ça arrive.
….— File-moi la bouteille à côté de toi Loïc s’te plaît.
….— Putain gars, la descente que t’as j’aimerai pas la prendre la montée.
….— Suis savoyard gars, on rigole pas avec la gnôle chez nous !
….— Et Aurel, joue-nous les copains d’abord.
….Aurélien joua les copains d’abord. Quelques-uns chantèrent avec lui. Aurélien était un super guitariste, une oreille fabuleuse. Capable de vous dire la note que vous faisiez en pétant. Aurélien était blond, faisait plus d’un mètre quatre-vingt-dix et ressemblait à Johnny Hallyday lorsque celui-ci était jeune.
….— Comment il va ton gosse Loïc. Ça lui fait quel âge maintenant ?
….— Six mois. Il est génial, il sourit tout le temps.
….— Et avec sa mère ça se passe ?
….— Comme si comme ça, elle me fait chier.
….— Vache le coup qu’elle t’a fait quand même.
….— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Une conne est une conne, le syndrome de l’enfant pansement ni change rien. Mais bon, elle me laisse voir le P’tit. Et je vous juge les gars, voir sourire un gosse ça n’a pas de prix.
….— Ça dépend pour qui, moi, au centre aéré, j’étais payé au SMIC.
….— T’es con putain !
….— Et toi Aurel’, ça va depuis hier ?
….— Ouais ouais, t’inquiète.
….Aurélien faisait des malaises à répétitions depuis qu’il plus de deux ans.
….— Tu devrais aller voir un docteur quand même…
….— T’inquiète Marco, tout roule.
….— Tu parles ! Crétin. Tiens, lâche ta gratte un peu et goûte-moi ça, tu m’en diras des nouvelles.
….Marc lui tendit un morceau de pain toasté granit de fromage et de jambon. Aurélien lâcha sa gratte pour goûter un peu ça…
….— Avec le vin de Cécile, ça passe tout seul !
….— Il est un peu poivré non ?
….— C’est un Gigondas, mais il est un peu jeune encore…
….— La dernière fois Cécile m’a emmené à son boulot. Elle m’a fait goûter les jeunes vins en préparation. Putain c’est dégueulasse ! Je sais pas comment tu fais pour te farcir ça dès huit heures du matin.
….— L’habitude… Mais c’est vrai que suivant l’étape de fermentation, des fois c’est pas terrible.
….— Pouf ! Moi c’est bon, j’ai plus faim.
….— Ah, Sarah ‘ssasiée.
….— Mais ta gueule !
….— Houu, Sarah ‘bougrit.
….— Grrrr !
….— Embrasse-moi, Sarah ‘vigole.
….— Vous êtes chiants à être heureux tous les deux.
….— Merci.
….La soirée fila entre les rires, les vannes, la guitare et les conversations plus sérieuses. Les huit bouteilles de Gigondas et une grosse partie de la bouffe étaient tombées. Ils attaquaient tranquillement le génépi au goulot, en faisant tourner quelques joints d’herbe de la plantation de Loïc. À un moment Aurélien se leva.
….— Tu vas où mec ?
….— Je vais pisser. Tu veux venir me la tenir, j’ai pas le droit de porter des objets lourds.
….— C’est ça ouais ! Tu rêves en couleurs.
….— Fais gaffe Aurel’, ça descend raide par là…
….— T’inquiète Marco, je vais juste à la rivière là, à vingt mètres.
….— D’acc.
….Aurélien traversa les buissons de genêts et commença à pisser dans la rivière. Sauf que ce gros con fut pris d’un malaise, tomba dans dix centimètres de flotte et se noya la queue à l’air. C’est moi qui l’ai retrouvé vingt minutes plus tard, quand je m’inquiétais de pas le voir revenir. Il avait 23 ans, c’était notre pote, et un putain de guitariste. Après l’enterrement je n’ai plus jamais revu les autres, mais je sais que Cécile est partie au Québec et que Marc et Sarah se sont séparés.
….On se séparera jamais les copains, on est trop forts ensemble pour que ça arrive…

….4.
….— Quelle heure il est ?
….— Un peu plus de 3 heures et quart.
….Paul posa une cigarette roulée sur ses lèvres. Le briquet criqua et l’âcre fumée envahit l’air iodé.
….— Elles vont venir tu crois ?
….— Bien sûr qu’elles vont venir Pierrot. Elles viennent toujours tu le sais bien…
….— Ouaip, elles peuvent pas se passer de nous.
….— Ni nous d’elles…
….— C’est vrai
….Ça faisait 35 ans maintenant qu’ils pratiquaient la chose les deux copains. Une fois par an ils laissaient tomber le lit conjugal pour se retrouver là, dans la nuit provençale, à regarder courir l’eau du canal, en attendant… De l’autre côté de ce qui était autrefois le plus grand étang d’eau salé d’Europe, là où se trouvaient des collines et des champs d’oliviers, les usines pétrochimiques irradiaient le ciel de leurs lumières rouges et fumeuses. Autrefois il paraît qu’il y avait des dauphins dans cet étang. Maintenant c’est interdit de s’y baigner.
….— Elles tardent tout de même…
….— Elles se font désirer. Tu sais qu’elles aiment ça. Tiens, prend un pastis pour patienter.
….Pierrot prit un pastis pour patienter. Paul et Pierrot attendaient les anguilles, qu’elles remontent le canal durant la nuit. Tradition. Leurs pères et leurs grands-pères faisaient déjà ça avant eux.
….— T’as entendu les infos à Maritima ce matin ?
….— Non.
….— Ils ont retrouvé un mort sur la route d’Ensuès. Le gars faisait le mariole avec sa bagnole et s’est esquiché sur un pylône. Sa voiture a pris feu. Ils disent qu’il a brûlé alors qu’il était encore en vie.
….— Il est mort vivant quoi.
….— Ouais. Heureusement que c’était pas à l’heure du travail, sinon je te raconte pas le pastis sur la route…
….Le cul posé sur leur petites chaises pliantes, les cannes plombées baignant dans l’eau noire, Paul et Pierrot discutaient peinards, vérifiant de temps à autre que les esques au bout de l’hameçon ne s’étaient pas décrochées ou n’étaient pas mortes. Avant, les vieux, ils pêchaient à la fourche un peu plus en haut de l’étang, dans les vases, mais c’est interdit maintenant. La pêche à l’anguille c’est un truc pop’ ! Ou du moins ça l’était. Maintenant on la pêche sur les écrans l’anguille, moins d’odeur sur les doigts, moins de mal au dos et de temps à perdre, mais moins aussi, surtout, d’arômes dans le gosier et de partages d’amitié. En somme, avec la virtualité, c’est l’humain que les gens y paument, et sans s’en rendre compte en plus. Anesthésie humanitaire sur abonnement forfaitaire.
….— Dis Paulo, tu sais ce que c’est toi une puncheulaïne ?
….— Qu’es aco ça encore… Comment tu dis ?
….— PUN-CHEU-LAÏNE. C’est un mot anglais que j’ai vu dans un livre. L’autre il lui disait « t’as de bonnes puncheulaïnes »
….— C’est Puntchlaïne qu’on dit fada.
….— Et qu’est-ce que ça veut dire Monsieur Le Cultivé ?
….— Hé bé ça veut dire que tu parles bien.
….— Ah…
….— …
….— …
….— …
….— Tout de même, ils font caguer avec leurs mots en anglais, on sait plus où on habite ! Une vraie invasion. Je suis sûre qu’il y a plus de mots anglais maintenant en France qu’il n’y avait de mots allemands durant l’Occupation.
….— M’en parle pas Pierrot ! La dernière fois je me suis trompé de magasin comme ça… Tu sais que j’ai refait la chambre de la pitchoune ?
….— Oué, et alors ?
….— Alors y’a un nouveau magasin en face de chez moi. Concept Store que ça s’appelle.
….— Oué…
….— Et alors je lui ai demandé des stores vénitiens… Il en avait pas, dis ! Il vendait même de stores !
….— Des volets alors ?
….— Même pas !
….— Il vendait quoi alors ?
….— Tè vé, j’en sais rien ! Y’avait un billard, une coiffeuse, des vêtements, des sanouiches, un canapé, des gogues, mais pas de stores !
….— Keske c’est que ces gens ?
….— Hé ! Fatcheudeu ! Des fadolis ! Quoi d’autre ?
….— T’as bien raison… des fadolis !
….— …
….— …
….— Dis Pierrot, je voudrais m’acheter un chapeau de paille. Tu sais où c’est que je peux en trouver un joli ?
….— Pour quoi foutre tu veux un chapeau de paille ? Elle te va plus ta casquette ?
….— Si. Je sais pas… une fantaisie. Pour sentir l’odeur de l’alerte incendie quand il fait sec et le chien mouillé quand il pleut.
….— Peuchère, c’est pas un chapeau qu’il te faut, c’est un baromètre.
….— Couillon va ! Et ta femme, ça va ?
….— Malheureusement toujours vivante cette grognasse. Et ta maîtresse là, la petite ?
….— Ah ! Une vraie galine de pâques c’te nine !
….— Tu crois encore que c’est de ton âge ces cagades ?
….— Je rajeunis tous les jours dis ! Et puis elle en veut la coquine ! Cette après-midi encore on a fait le tour du monde des galipades !
….— Le tour du monde, n’exagère rien ! Si elle te pègue, c’est pour ton argent.
….— Et alors pébron ? Le tour du monde je te dis ! Avec la levrette irlandaise et le cunnis norvégienne !
….— Oh ! tout de même… et la pipe chinoise ?
….— Bien entendu, et avec les baguettes Môsieur le sceptique.
….— La brouette bretonne ?
….— Un classique ! Surtout dans la cuisine.
….— L’enfumage syrien ?
….— Ça va de soi !
….— Et la levrette arménienne ?
….— Juste avant de finir sur le bukake végan ?
….— Eh bé !… Quel voyage !
….— Comme tu dis, on en a cassé le radassier ! Et toi en ce moment ?
….— Oh moi… en ce moment ça serait plutôt la branlette hollandaise.
….— Ah…
….— Hé oué …
….— Avec ou sans lunettes ?
….— Sans, je les ai cassés en faisant le jardin. Mais je regardais la cérémonie des César, alors ça rattrape…
….Soudain une des cannes pêche vibra et interrompit cette conversation digne d’une chaire académicienne.
….— Oh Paulo, ça y est, elles sont là !
….En effet, elles étaient là. Il fallait se grouiller, la traversée ne durerait pas toute la nuit.
….Deux heures plus tard, les paniers en osiers bien remplis, les hommes arrêtèrent les frais.
….Pierrot en pêcha une dernière, et l’assomma illico en lui fracassant le crâne sur la rive du canal. Puis il lui crocheta la tête tandis que Paul la dépeça, encore frétillante. Paul ensuite la coupa en morceau et la mit à cuire dans le chaudron en cuivre de sa grand-mère, posé sur un trépied au gaz.
….J’ai bu trop de pastis pour avoir la patience de vous décrire exactement la recette. Mais si vous passez près du canal un de ces soirs-là, vous les entendrez sûrement se régaler. Et si vous allez les saluer et jouer de la politesse, très certainement qu’ils vous inviteront à partager leur assiette, à condition de ne pas craindre les métaux lourds. Mais si vous comptez sur eux pour vous donner la recette, là, vous pouvez aller vous faire une soupe d’esques !

 

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