Une de la semaine

Chronique Souterraine #36 – Ch’ais pas

     Je me demande VRAIMENT ce qui cloche chez moi : j’ai passé une bonne partie de la semaine les mains dans l’eau glacée, sous la flotte, à frotter des poireaux (je ne verrai plus jamais l’expression astiquer le poireau de la même façon (je ne verrai d’ailleurs plus jamais un poireau de la même façon)), OU à me geler les noix en plein courant d’air à faire des sacs de patates (je ne verrais non plus jamais les sacs de patates de la même façon), OU frotter des courges (idem), OU semer des fèves dans la terre encore gelée, OU rebelote les poireaux. Le tout en pataugeant dans la boue froide, les orteils à l’agonie malgré mes deux paires de chaussettes bien épaisses. Bref, comme des milliards d’humains de par le monde, je me lève avant le jour pour effectuer les tâches pénibles que celui qui m’emploi ne veut pas faire (n’est ce pas pour cela qu’il m’emploie d’ailleurs ?). ET LÀ, que j’ai deux jours de repos – encore du mal à intégrer la notion du sacrosaint week-end – qu’il pleut à noyer les limaces, que le Petit dort et que Mary bosse, au lieu de profiter tranquillement de la couette en écoutant la pluie, qu’est-ce que je fais ? je me lève à six heures du matin pour STRICTEMENT RIEN FOUTRE !!! Avoue qu’il y a de quoi s’interroger…
     Bon, je ne fais pas vraiment rien. Je me prépare un café – déjà – puis je prends la tête à Mary pour des choses que j’ai oublié dans la foulée. À l’entendre je suis un casse couille de première catégorie. Je suppose que je pourrais contourner l’obstacle en disant que c’est ELLE qui me les brise, que c’est ELLE qui m’énerve, avec son écran collé au front et son caractère de chiotte, ses « OUI MAIS blablabla » capables d’irriter le trou du cul épineux d’un hérisson MAIS… mais… mais merde ! Je n’arrive plus à être totalement de mauvaise foi. Pourtant les choses roulent plutôt bien en ce moment… Faut croire que je fais partie de ces gens qui ne trouvent leur bonheur que dans la complication. Si tout roule ou presque à l’extérieur – du moins si ça s’améliore par rapport à cet avant toujours flou et flottant – faut que j’aille chercher l’embrouille à l’intérieur. Et si c’est le bordel à l’extérieur, que les pneus sont crevés, le frigo vide et le compte en banque dans le rouge, là mon intérieur est content. La vie lui renvoie ce qui colle à ses croyances. Retrouve-moi avec un peu d’épargne pour noël, du boulot et un kit anti crevaison dans le coffre et mon couple part en string avant l’aube pour une histoire de casserole qui attrape (ça y est je m’en souviens maintenant). Malgré tous mes efforts, avoir été élever par des maniaques a fait de moi un vrai totalitaire. Et comme je le disais, je n’ai plus assez de mauvaise foi en stock pour aller prêcher la paix et la fin de l’exploitation mondiale, la tolérance, enfin quoi, tout ce qui fait normalement de toi un bon gauchiste, donc dans la mythologie familiale, quelqu’un de bien.
     En parlant de famille, ma crapule de pré-ado d’amour se pointe dans l’escalier, les doigts dans la bouche et un Lucky Luke à la main. Il tire la tronche ronchonne de celui qui s’est fait capter alors qu’il voulait surprendre. Il vient contre moi, il sent bon, il est chaud, la pluie cesse et le jour se lève. Je ne vais plus pouvoir rien foutre, et donc, je vais trouver de quoi râler. J’arrête donc cette chronique en lui demandant :
     – Tu me trouves un titre ?
     – De quoi ?
     – Ce que tu veux.
     – Prrrrt. Ch’ais pas.
     – Ce que tu veux, n’importe quoi.
     – Ben ch’ais pas.
     – Ok.
     Bonne journée.

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