Chronique Souterraine

# 40 – Le Jeudi, c’est Charlie

Okay…

Il est une heure du matin et je rentre du boulot avec l’envie de reprendre les Chroniques Souterraines. La dernière remonte à combien ? Un an ? Deux ? Peut-être trois. Bref, on s’en branle, mais ça fait un bail ! Et le numéro ? On en est à combien ? Je verrais ça plus tard. Pour le moment, servons-nous une bière, et un verre de whisky irlandais. Combo coriace !

Je vais essayer de reprendre le truc plus régulièrement, mais je ne promets rien. Ces derniers temps, j’ai écrit pas mal de poèmes, beaucoup en fait, certains publiés sur le blog mais la plupart sont gardées en réserve. J’aimerais bien sortir un autre recueil. on verra bien… J’ai commencé deux romans aussi, mais ils se sont cassé la gueule en cours de route. La faute à… un manque de régularité et puis… surtout… avec le recul, j’avais déjà dit tout cela dans Où veux-tu qu’je r’garde ? en mille fois mieux. Les lieux, les gens et les situations changeaient mais, au bout du bout, c’était le même thème. Si vous l’avez lu vous savez de quoi je parle et si ce n’est pas le cas, Noël approche et c’est un excellent livre à vous offrir ou à offrir à d’autres. Merci d’avance pour l’argent ! Et n’oubliez pas de mettre un « comment taire » sur Amazon, il paraît que ça aide…

Pub étant faite, revenons à la chronique.

Je ne me rappelle plus si c’était le cas avant, mais je me disais que je pourrais sortir ça le jeudi matin. Pourquoi le jeudi me demanderez-vous ? Et vous aurez bien raison. Ben déjà pare que je le mercredi c’est « Poésie », et que même si pour le moment personne ou presque ne les regarde, je me marre assez dans cet exercice de lire mes poèmes et d’en faire des vidéos sur YouTube. Certes, je manque de pratique, ma voix n’est pas totalement posée (pas trouvé le médium), les trucs techniques du genre « filtrer le son pour qu’il soit parfait » me cassent les couilles – surtout qu’en brut avec ses défauts je le trouve assez bien – et que je tâtonne dans le montage. J’apprends donc, je teste, je trébuche, me casse la gueule, me relève et continue. Quoi qu’il en soit je me régale, et c’est cela le plus important.

Donc le mercredi c’est Poésie. Et en ce qui concerne le jeudi, ça me rappelle mon pote Charlie. Charlie tient un magasin de fringues ambiance Geek dans la rue du Four à Chaux dans la ville de Saint Pierre à la Réunion. C’est un Breton, mais il est quand même cool. J’y ai passé des heures et des heures et des heures chez lui, dans son magasin, à l’époque où je vivais là-bas. Et cette époque parfois me manque. On jouait à Mario Kart sur la Gamecube en attendant les clients, on discutait de tout, de rien, de femme et d’écriture. Lui était pour Djian, moi pour Bukowski. Puis j’allais au bar le Toit boire et tenter de serrer la serveuse incroyable, Éva, qui ne m’a jamais voulu, j’en ramenais d’autres parfois… Dans ce bar, j’ai connu le groupe de blues Blouzanoo, dont le chanteur est resté un fidèle lecteur (mille excuses, j’ai oublié ton prénom, mais en aucun cas ta voix et nos conversations, dont cette phrase que tu m’as lancé et qui a changé ma vie : « Ne t’inquiète pas, même si tu galères en France (parce que c’est un pays gangréné par des bobos qui y  foutent une ambiance de merde ndlr), il y a la Francophonie, l’Afrique, le Canada… et des écrivains comme toi, on en a besoin. Lâche rien), et j’y ai vendu mes bouquins, roman et recueil de poèmes, ce qui – vous me l’accorderez – est extrêmement stylé !

Je me rappelle de ce mec. On avait sympathisé et picolé ensemble, sur le comptoir. À l’époque je tournais au Picon Bière en pinte puis quand venait l’heure de se calmer, je passais au rouge. Et donc avec ce gars cause. Puis vient le moment où il prend le roman sur le comptoir, à côté de lui.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? qu’il me fait. Et qu’est-ce que ça fout là ?

– Ça, que je lui dis, c’est mon bouquin. Quarante-six jours pour écrire le premier jet. Et six mois pour en travailler le style.

– C’est vrai ? C’est toi qui l’a écrit ?

– Ouais !

– J’lis pas môa. Ça m’emmerde. Mais tôa t’es sympa tôa. J’vais t’le prendre ton bouquin. »

Et il me l’a pris, et je l’ai remercié en lui payant illico un verre avec son billet devenu le mien.

Une semaine plus tard, je me suis repointé au bar et, sans que j’arrive à le reconnaître vraiment, le type m’a foncé dessus :

« Putain, ça fait trois fois que je viens ici en espérant que tu reviennes.

– Ah bon ? (Honnêtement, je pensais qu’il voulait me casser la gueule)

– Ouais ! Je l’ai lu ton bouquin, en trois jours. J’ai aimé. Il parle de la VRAIE vie. »

Sans le savoir ce mec-là, venait de me valider. Moi qui me voyais comme un imposteur, ou un pseudo écrivain bas de gamme, un gars qui se la racontait, ben mon bouquin à moi, il avait touché un mec comme lui, parce qu’on était de la même race : celle dont la LITTÉRATURE ne voulait pas entendre parler. Et donc, ce soir-là, dans ce bar, il m’a adoubé.

Tout comme Mika. Mika…. Comment vous décrire l’animal ? À l’époque il avait autour de vingt ans, brun, d’aspect rustique, en tous sens. Une sorte de Jean Marie Bigard hyper bourrin, gentil comme tout et passionné de canyoning. Grosso modo : l’antithèse de l’enfilage de perle. Ben lui, tandis qu’il tenait l’entrée payante pour les clients du Toit qui venant écouter le groupe de musique, il leur lisait mes poèmes. Une fois il a même fait à un gars :

« Écoute celui-là, il s’appelle Putes. »

Et il lui a lu.

Cette époque, quand j’y repense, était incroyable. J’n’avais pas une tune, aucune perspective, et les gens dont au départ je me souciais le moins sont ceux qui m’ont accepté le plus. Des anecdotes j’en ai à la pelle, va falloir que j’apprenne à les distiller. Et comme cette chronique est en quelque sorte celle des retrouvailles entre vous et moi, même si les heures, ou les nuits et les ans nous séparent entre l’écriture de ces mots et le moment où vous les lirez, peu importe, il s’agit du même instant.

Et Charlie dans tout ça ?

Charlie, à sa manière, sans le savoir et sans que j’en prenne conscience, a été comme le pilier de tout cela. Le passeur. Sa fille cadette m’ayant même aidé à corriger mon roman. Et comme j’imagine que les jeudis dans son magasin sont toujours déserts et chiants, autant l’occuper en peu en lui fournissant un peu de lecture une fois de temps en temps, disons sur les coups de dix heures.

Après, ce gros escroc avec ses dents écartées et ses chaussures compensées, il me doit une lettre. Donc, si tu me lis Charlie, rappelle-toi cette lettre tapée à la machine et finie lorsque j’étais totalement bourré il y a quelques années. Elle attend toujours une réponse. Si tu veux, et ce sera avec un immense plaisir que je la lire, voici mon adresse :

 

Fabien Miras

77a Chemin St Jean

04230 Cruis

 

Puisqu’on y est, cela marche aussi pour vous mesdames, si vous êtes dans le coin et encore dans le coup, pointez-vous avec une bouteille de vin ou un pack de bière, l’envie de prendre du bon temps, et je m’occupe du reste… En hiver c’est cool, il y a la cheminée et une bonne couette. En été ça le fait moins, il y a les moustiques… Mais dans tous les cas le matelas tient le coup.

Pour les chieurs, les gitans et autres fouille-merde, même si je ne me pense pas si célèbre pour capter trop votre intérêt, si vous souhaitez venir, sachez que j’ai un Beauceron et un révolver .38 sous le matelas qui prend du 357 Magnum. De plus, le maire est mon voisin, et je suis devenu pompier, donc hyper pote avec les « gens d’armes ».

 

Donc ensuite…

Ah oui ! J’ai un chagrin d’amour Charlie. Même s’il tend à passer. Putain celle-là… Un putain de coup de foutre comme ça faisait dix ans qu’il m’était pas arrivé. T’imagines la femme qui m’a fait sauter la carapace que je portais depuis dix ans ? Celle à qui j’ai donné tout, tout de suite. Une place dans mes placards, mon cœur grand ouvert. Je lui ai même demandé de m’épouser. J’ai même demandé à ma mère de me trouver la bague de fiançailles de mon arrière-grand-mère pour lui passer au doigt. Je me suis mis à genoux devant elle avec tout le tralala et j’ai fait :

« Est-ce que tu veux bien m’épouser ? »

Et elle a dit « Oui ! » Tu te rends compte, elle a dit « Oui ! »

Et quand ma mère lui a dit « bon courage », elle a répondu « Pour quoi faire ? »

Elle avait le visage de Blanche Neige.

Elle m’en a tiré des larmes de ce que je me suis permis d’être avec elle.

Elle me balançait des trucs comme « t’inquiètes, JE SUIS LÀ »

Et je lui ai ouvert mon cœur

Et entre toutes les possibilités

à la fin

elle a choisi d’y planter un couteau

La trouille je crois,

puis les bonnes excuses. Tu sais, les cases à cocher.

Un mois sans se voir, tout a servi de prétexte. D’abord ça a été à « cause de la distance », cette peur de prendre la voiture pour venir me voir depuis son accident y’a dix ans, (tu te rappelles le mien d’accident y’a dix ans ? Celui qui m’a empêché de VIVRE ?) puis « l’envie d’être seule », puis, ça a été comme quoi je la dénigrais trop (elle y arrivait très bien seule cependant, se rabaissant vis-à-vis de moi alors que… sans déc ?), puis c’était mes mauvaises manières de pèquenot, comme quoi je buvais trop (rapport à son père qui tabassait sa mère, donc rien à voir avec moi), puis tout une liste comme ça, genre je la pensais acquise, j’étais plus séducteur. Alors que, entre les massages, les moments pour la rire, pour rattraper la communication quand elle faisait la gueule, les petits plats, les bonnes baises, les poésies récitées, les lettres d’amours tapées à la machine, les imitations de Lucchini, je l’ai ressenti comme injuste ce truc-là tu vois ? Bref, si ça n’avait pas suffi, elle aurait trouvé à redire sur la couleur de mes yeux ou le design du frigo.

Le tout balancé par mail, sans se parler, via écran, froid, blanc, sec. Rien qui ressemble à des bras ou des yeux ou une voix. Rien de très humain.  

Donc tu passes de « T’es le meilleur coup de ma vie et c’est incroyable d’être avec toi Mon Amour » à « t’es une merde qui ne mérite même pas que je lui parle en face » en deux mois. J’avoue n’avoir rien vu venir. Je me disais qu’avec elle on était capable de se parler, et de tout mettre à plat. Je me plantais.

Le tout précédé d’un texto de séparation me disant « JE T’AIME ». T’en veux du bordel à cogiter ? Comme dirait un ami à moi, c’était « un truc de salope, qu’elle ferme sa gueule ». Il n’a pas forcément tort. Pas forcément juste non plus. C’est juste… Du gâchis. Une sorte d’amour en fulgurance, comme sait si bien les faire l’été, et les finir l’automne. Une fusée de passion partie trop vite n’ayant pas su régler sa vitesse de pénétration dans l’atmosphère du réel : l’argent qu’on n’avait pas, la distance géographique et les peurs qu’on avait trop.

On n’a pas su faire et je n’ai pas suffi.

Tout ce que je me suis ouvert, tout ce qu’on s’est permis, à la poubelle ! Moi, pour ce que j’en comprends, c’est qu’après ces « t’es l’homme de ma vie » elle a joué seule dans son coin à se faire son question/réponse, et a fait le focus sur toutes les bonnes raisons pour nous flinguer.

Le tout par mail. Putain, par mail… T’imagines la violence du truc ?

Mais peut-être qu’elle a raison, que je ne suis qu’un ivrogne et un malotru. Mais suis-je seulement cela ? Je ne crois pas. Je crois qu’elle aussi le sait. Mais…

Il est toujours plus facile de regarder la paille dans l’œil du voisin pas vrai ?

Elle a pris une décision en dehors du clan, et nous savons que les femmes ne connaissent pas la marche arrière.

C’est ce que je lui reproche. Cette lâcheté.

Mais moi, que fais-je ?  

Au final, il n’y a pas de quoi en faire des caisses, l’histoire est banale : passé les douze coups de tirés, la princesse et le prince se changent en crapauds et font mare à part.

ou

comme dirait le vieux Buk

L’amour est une brume qui s’évapore à la première lueur de réalité.

Mais j’y croyais,

je l’aimais.

Et dire que je ne pense pas encore à elle serait un mensonge.

Dire que ces pensées sont toujours tendres aussi.

Laissons faire…

Quatre mois avec, deux mois sans, inévitablement,

la qualité des moments passés avec elle sera submergé par la quantité de temps passé dans son absence.

Et puis, n’en parlons plus, elle a montré qu’elle ne désirait ni ne méritait cet honneur.

Et tout cela est peut-être un cadeau, va savoir ?

 

L’avantage d’être célibataire, c’est que je peux repasser mes soirées à écrire, au lieu d’être au téléphone ou en visio à vivre une histoire qui me fuit en loucedé. Et SOURTOUT, d’écrire avec un RÉEL plaisir. En effet, je me suis rendu compte ces derniers temps que j’écrivais par intérêt, pour être lu, reconnu, avoir des like… ce genre de connerie. C’était une erreur et mes écrits s’en retrouvaient mauvais, pour la plupart. Alors reprenons le truc à zéro, écrire, juste pour écrire, sentir les mots filer sous les doigts, rien à voir avant, ou après, seulement la chaise, le clavier et… la chienne qui gratte à la porte pour rentrer !

Question boulot ça va. J’arrive à rentrer quelque chose entre 600 et 700 euros net par semaine. Je fais des heures, et des boulots durs. J’ai des potes aussi, ils sont cool. Quand je me suis fait larguer, l’un d’eux m’a invité à bouffer une fondue bourguignonne, spécialement pour moi ! La grande classe de l’amitié. Il vit dans un chalet en bois, conduit des Harley, et s’envoie des vannes avec sa meuf, j’te dis pas… une déglingue comme pas possible. Mais ça dure entre eux, et je trouve ça cool. Et je me dis que c’est peut-être ça le secret, se clasher à l’extérieur tout en prouvant par les actes l’exact inverse. Car finalement les belles promesses se font faites que pour chier dessus. Dans que ce mec est capable dans la même journée de construire une extension de son chalet pour que sa femme y range ses fringues et lui balancer un « va faire la vaisselle femme, tu me fatigues ». Ce à quoi elle répond :

– J’t’emmerde et elle est déjà faite la vaisselle. Quant à tes si belles couilles mon chéri, t’avises pas de vouloir les sortir ce soir pour que je les malaxe.

– Tu parles mal. »

Et ainsi de suite. Avec moi au milieu me fendant la poire. Ça me change de ce que je dis car, de ce que j’en vis, au moindre grain de sable dans l’engrenage, tout fout le camp dans le chacun pour soi. Je suis peut-être trop gentil malgré les prétentions inverses.

Un chalet, une Harley, ma chienne, mes flingues, l’écriture et la guitare, le jardin et les balades en forêt, voilà peut-être le secret de mon bonheur, avec une deux poules pour les œufs à la coque du matin, un canard pour le civet, tirer un coup de temps en temps et après ? Finalement, à quoi ça peut rimer tous ces projets de famille, de couple unis et croire en des promesses de mes couilles ? Sans déconner ?

On se balade tous sur la même branche en pensant être si UNIQUE, ou mériter mieux, vouloir ceci ou cela… quelle branlette !

 

Charlie, il est plus de trois heures,

je commence à être bourré mais,

je te balance mon âme.

 

Je crois que je commence à lâcher l’affaire. Je veux dire… tu sais, ce qui me manque,  

c’est ce rêve qui m’échappe.

Alors je laisse tomber

car

le temps défile.

Et je tombe sur des femmes qui pensent que je ne suis qu’un

QCM à cocher,

ou est-ce l’inverse ?

Je me demande si

au final,

quand on regarde notre vie,

ce n’est pas toutes nos croyances que nous voyons.

Et j’en finis par me dire que, OK,

j’ai la vie que j’ai,

et la vie que j’ai n’est que le résultat

de ce que

j’en crois.

 

Et malgré les bobards que je me raconte,

en vrai

j’aimerais

tant

qu’elle

appelle…

mais elle n’en pas les couilles

et Moi ? en ai-je ?

 

Ma femme est partie Charlie

et j’ai rien vu venir…

je me suis

abandonné

en elle

pour du fiel

 

et toi, que deviens-tu mon salaud ?

 

Appelle, ou écris quand tu veux (mais un truc stylé, pas un Gmail à la con).

Je t’aime. (même si ça fait pédé), et ton sourire de pédophile breton (pléonasme) me manque.

 

Putain…  Putain !

Faut croire que c’est parce que j’écris un lendemain de fête des morts, les fantômes sortent des placards ! Elle n’appellera jamais, et c’est tant mieux. Qui a-t-il à dire ? Je le sais très bien, dans le fond, que ce n’est pas ELLE le sujet. C’est des histoires que je me raconte. Le seul sujet, c’est la poésie. Savoir que tout peut se dire,

il suffit d’aller

le                chercher.

Et les morts cette nuit s’insinuent dans mon verre

tandis qu’une pluie mate

inonde les cœurs broyés par le vide

marqués encore par l’empreinte

de ces visages qu’ils ne verront plus

ces voix qu’ils n’entendront plus

ces corps qu’ils ne toucheront plus

 

Et la pluie noie tout cela,

tandis qu’un homme revenant d’un boulot de nuit

frappe sur son clavier

pour tenter

de s’extraire

du néant.

 

 

 

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