« Tu maintiendras discipline et humilité, car le bien viendra aux vertueux. »
Tempérance ven Cérule – Code d’honneur du chevalier.
Il a neigé vendredi, la chienne découvre le fait de manger de l’eau. Pas de pâture avec les chèvres donc, et avortement de mon projet de tronçonner mon dernier stère de bois. Et là je me retrouvais avec deux choix possibles :
1 – Allumer un feu dantesque dans la cheminée, me vautrer dans le canapé et me regarder des films en boucles en fumant clope sur clope et siroter quelques bières. Le tout ponctué de quelques branlettes de l’ennui.
2 – Faire ressembler la baraque à un stand de vide-grenier, démonter tous mes meubles Ikea blanc crasse, les poncer et les repeindre, histoire d’arrêter avec cette ambiance de meuble patchwork dégueulasse qui règne en maître dans mon décor depuis trop longtemps. L’uniformisation fait parfois du bien à l’œil.
Comme depuis quelque temps, essayant de me reconnecter aux racines de ce qui a construit la France pendant plus d’un millier d’années, je me dis que tout ce que je fais passe sous le regard de Dieu (à-propos, si vous connaissez un prêtre à l’ancienne qui fait ses messes en latin dans le 04, je suis preneur), la première solution n’était plus envisageable pour moi sans penser à me faire hara-kiri toutes les deux secondes. Ce qui
1 – n’est pas du tout raccord avec une tradition chrétienne,
2 – aurait franchement dégueulassé les lieux et
3 – ne correspondait pas à ma liste de choses à faire dans l’instant.
(tu la sens venir la chronique façon liste ?)
Donc à l’heure ou j’écris ces lignes, les meubles attendent leur deuxième couche et heureusement que le Petit n’est pas là car, voir sa chambre d’adolescent convertie en débarras de la Foir’Fouille aurait pu lui donner l’envie de rompre totalement avec l’idée d’avoir un père. Ce qui serait un saigne cœur absolu.
Y’a des mecs qui tendent vers le zen, l’épuration matérielle, le feng shui et les assiettes en algues, moi, faut croire qui si mon extérieur ne ressemble pas au foutoir que j’ai dans la tronche en permanence, je ne suis pas content.
Et comme l’idée du foutoir permanent est un art de vivre, impossible de concevoir de débuter un chantier et le finir dans la foulée. Que faire pour le lendemain alors ? Voyons voir… Il a neigé, le vent est passé, donc les routes sont polies façon patinoires, quelques voitures sont encastrées dans des arbres bonne âme les sauvant du ravin, les sangliers coupent la route, la branlette est interdite, voyons… Tien ! Pourquoi pas prendre la route à six heures du matin pour aller faire un stage baston à 150 bornes avec des mecs de cent kilos ? Et tien, pourquoi ne pas tout préparer la veille et oublier ma bouffe au dernier moment ? Ça me branche, affaire conclue !
Samedi midi, hier, à force de me faire lapider les avant-bras par des bourrins qui ne savant pas faire un blocage en douceur, me voilà à midi avec le pli des coudes n’allant pas plus loin qu’un angle à 120 degrés. Je ressemble à un putain de taré qui a envie de prendre tout le monde dans ces bras ! Là-dessus, sans doute que certains penseraient à se reposer les tendons et puis y’a moi, 1m 74 pour 72 kilos qui me dis que ça pourrait être bien, après un simple sandwich Lidl dans le ventre, d’échanger les gants avec un molosse de presque 2 mètres et d’un quintal.
Et bien entendu, l’après-midi c’est combat au sol, et, bien entendu, j’y connais rien. Alors faut savoir une chose : combattre en pied-poing un grand lourd, entre l’allonge, la puissance et le bagage technique, pour un mec de ma corpulence, ça s’apparente soit à du suicide soit à une version post moderne de la bataille des Thermopiles. Donc à un suicide, mais couillus. Mais aller au sol avec le même gars, surtout si c’est moi qui l’y emmène, ça s’appelle simplement de la folie.
Comment d’expliquer cet après-midi ?
On va faire simple. Quand t’es allongé sur le dos et qu’un descendant d’Hercule se retrouve en cavalier sur toi en trait de te marteler la face avec une pression 3500 joules dans chaque poing (et il y allait doucement et avec des gants), tu n’as qu’une seule chose à faire : tenir la défense suffisamment longtemps pour espérer finir de dire adieu à ton gosse et à ta famille. Et si vraiment tu te défends bien, tu peux rajouter quelques amis à la liste, c’est tout. Ensuite viens le moment où Hercule t’attrape le bras, l’enroule à ton cou, serre, et signe la fin de la partie avec au choix : artères bouchées, vertèbres séparées ou les deux.
Sur ce tu rentres chez toi, retrouves le feu de ta cheminée, ta chienne, le sac de bouffe oublié devant la porte. Tu te prépares un bain de pieds, un cigare et un verre d’Armagnac. Puis tu t’affales sur ton clic-clac et savoures ton cigare, ton verre, ta douleur, ta ténacité et ta bonne fatigue. Lundi tu retournes à l’entraînement. Pour l’heure, tu sais que demain tu dois écrire une chronique, finir la peinture et couper le bois. Il est 9h 25, la chronique s’achève, un rouge gorge sautille sur la terrasse (tiens, il est parti), la douleur est omniprésente, la position est prête mais tu n’as personne à embrasser, le bois de la cheminée craquelle, la chienne ronfle devant. Aujourd’hui, tout n’est que douleur et devoirs à accomplir. Je me sens bien.