Correspondance

lettre à Charles H. Bukowski

Bon, il est samedi après-midi. Depuis 6h30 ce matin j’étais dans le jardin à faire tout un tas de bêtises juste bonne à me salir les mains et me niquer le dos. Ensuite je me suis posé un peu, ai eu ma femme au téléphone et, comme je n’avais envie de rien (pas même de me branler) après avoir raccroché, et qu’à la télé tournent tout un tas de débilités toutes plus profondes que l’anus de Georges Michael dans les années 80, j’ai décidé d’ouvrir un de tes bouquins, celui sur l’Écriture, et je suis tombé sur ta lettre à Henry Miller. Alors je me suis dit :

1 – Tiens, je vais faire pareil.

2 – mais avant je vais aller me chercher des bières.

 

Et donc me voilà ! J’ai 38 ans et j’écris à Charles Bukowski. Mon maître, un mort.

La première bière est assez tiède, j’espère que les autres auront le temps de se rafraîchir un peu avant que je ne les siffle. On va prendre le temps… y’a rien d’autre à faire pour aujourd’hui.

Ça fait bizarre d’écrire à un mort. T’aurais quoi ? Cent ? Cent trois piges je crois non ? La leucémie t’as choppé au bon moment crois moi ! Tu as évité le 11 septembre, Obama, Trump, Biden, les Wokes, les films Marvel, le smartphone et tout ce qui va avec comme les réseaux (a)sociaux, et de mon côté de l’atlantique : les meurtres des journalistes de Charlie Hebdo, Sarkozy, Hollande, Macron, les Wokes, les films Marvel, le smartphone et tout ce qui va avec : la vue d’innombrables zombies obnubilés par leur écran et leur nombre de like. Et le confinement, Aaaaaaah le confinement ! Quelle rigolade !

Mes les écrivains ne s’en sont pas mieux sortis. À ton époque, le seul champ de bataille était entre toi et la feuille, maintenant… il est dehors aussi, les mots sont interdits, ils peuvent BLESSER tu comprends ? On ne doit plus dire gros, pédé, arabes, gonzesse ou côte de bœuf, c’est Fasciste et machiste (donc fasciste) ! Un noir poignarde des bébés dans leur poussette, on appelle ça un « déséquilibré », un peuple entier crevant la dalle sort en revêtant un gilet-jaune et fait cuire des saucisses sur un rondpoint, on appelle ça « la peste brune ». Et du côté showbiz’ ? Les rebelles d’hier sont devenus les vieux d’aujourd’hui, ils ont baissé leur froc et se rangent du côté du pouvoir. Tout le monde doit choisir un camp, son tapin, sa boutique ! Comme les mouvement de foules ne me disent pas grand grand-chose, j’en ai trouvé une pas trop convoitée encore, ça se résume à : prolo-monarchiste-anarcho-pas-de-gauche-mais-pas-de-droite-non-plus. Pas assez suceur et bienveillant pour être à gauche, pas assez noble et discipliné pour être de droite. Ça  

Pour en finir avec la littérature, en gros, c’est toujours pareil ! Y’a ceux qui écrivent trop bien pour être autre chose que soporifiques et ceux qui n’ont pas assez de tripes ou de vécu pour écrire quelque chose d’intéressant. Moi au milieu de tout ça j’imagine que j’oscille entre les deux. Mais parfois je pense être bon. Mais je vais t’épargner l’ajout de poèmes à cette lettre, je sais que tu n’aimerais pas ça.

 

Ils ont changé ta baraque en musée, une idée de Linda. J’imagine que ça doit bien te faire marrer. Hank Bukowski est devenu une relique de la littérature underground américaine, prenant la poussière. Remarque, tu l’as bien cherché. Mais bon, c’est quand même bizarre. Je me demande ce qu’on y trouve dans ce musée ? Une de tes machines à écrire ? Des photos ? Un Bukowski empaillé, se grattant le cul, en caleçon, avec à ses pieds des monticules de cadavres de bières ? Je me demande s’ils ont bien refait le nez ?  

Ah si, t’as raté un truc : Céline à ressorti un bouquin, même deux ! Un communiste lui avait volé son travail à la libération (un truc de communiste) et, comme sa doctrine était la fraternité et l’humanisme, il a attendu que sa veuve soit morte pour rendre les papiers, afin qu’elle ne touche pas les droits d’auteur. Je crois qu’à lui aussi ils veulent transformer sa baraque en musée d’ailleurs… Cette transforme tout son passé sublime en ramasse poussière au lieu de le maintenir vivant à l’intérieur de chacun d’entre nous.

Voilà que je deviens philosophe !

Troisième bière, pas encore assez fraîche.

Ce qui est marrant c’est que moi aussi je me fais avoir ! Quand j’ai bu un verre de trop, ou quand je m’emballe, je me retrouve comme n’importe quel guignol qui croit tout savoir sur tout, qui refait le monde à sa manière à croyant être mieux qu’un autre, persuadé que le monde tournerait mieux avec SA vision, alors qu’il n’est qu’un aspirant dictateur de plus dans un monde qui en compte déjà trop. Mais j’ai un énorme avantage sur beaucoup : je suis en vérité trop flemmard et trop dégénéré pour changer le monde. Je le laisse tourner, fait mon jardin, bois quelques bières, tire un coup quand je peux et bosse quand je peux/veux. Des petits boulots, toujours. En ce moment, je bosse comme magasinier dans un magasin de bricolage. Les Boomers sont tout content de partir avec leur planche coupée. C’est un boulot pénible l’après-midi, il fait trop chaud avec cette canicule.

Et puis j’ai cette pisse qui pue le souffre depuis des semaines. Mais je dois envoyer un papier que je traîne à faire à la Sécu alors, comme je ne peux pas être remboursé, pas de médecin. On verra bien. C’est quand même moins pire que de crever dehors, vivre en République, croiser un cycliste, ne rien avoir à donner à becqueter au chien, ne pas avoir de fromage râpé, de quoi acheter des clopes.

Mais c’est quand même moins pire que d’avoir une femme à la maison qui te dit « NON » pendant plusieurs jours quand t’as envie de baiser ! Surtout si elle part après. Celle là je te jure, quel numéro ! Même lui fourré la langue dans la bouche deviens une galère. Pourtant ça se passait bien au début, y’a deux mois. Je lui ai même dis « Je t’aime », alors que ça ne m’était pas arrivé depuis bien dix piges. Mais je sais pas… faut croire qu’on se dit tous les deux que c’est trop beau et que du coup faut qu’on bousille le truc pour assouvir notre croyance fondamentale que nous sommes des survivants dans un monde hostile. On ne survit à que dalle et le monde ne nous veut rien du tout. Dommage parce qu’elle est vraiment cool quand elle veut, intelligente, belle et avec de supers nibards.

Les femmes, et le timing qui va avec, c’est toujours la plaie. Quand tu tombe sur une qui demande qu’à se faire baiser par tous les trous et qui te ramènes en sus de quoi boire, toi tu veux faire des projets de ménage, et quand tu tombes sur une qui veut faires des projets de ménages, toi tu penses qu’à la baiser par tous les trous en sirotant de bons verres. Enfoiré de Jésus et sa putain de monogamie ! Les arabes ont raison ! Sauf pour l’alcool, le sauciflard, les décapitations de prof et le voilage des femmes (sauf des moches). Ouais bon… ils ont tort, mais quand même Jésus fait chier ! De toute façon ça va se régler, en France, à la radio et à la télé (donc en ville), on suce les imam et on chante que Jésus est pédé. Je prendrai mes places au bord du ring lors du match « LGBTQRCODE-Cheveux bleu VS Moctar la babouche des cités ». Quarante contre un, facile, pas de quoi gagner beaucoup sauf en satisfaction de boucherie.

(putain c’est horrible ce que j’écris !)

 

Ah le cul !

Le cul le cul le cul

et la bière

quelques cigarettes

assez d’argent pour payer le loyer

pas trop de mal aux dents

ni de pisse qui pue

et assez de papier pour pouvoir écrire des conneries

que demander de plus ?

 

J’ai jamais pu piger ton goût pour Mahler, j’ai écouté quelques fois – même si là y’a rien qui me reviens – mais à chaque fois je me rappelle m’être dit « Mouais… bof ». Ça doit sans doute venir de ton côté allemand, hormis brasser la bière, fabriquer des grosses bagnoles et casser les couilles de la France, vous avez pas grand-chose à foutre… En parlant de ça, je me serais bien battu avec toi si ça avait été possible. Faut se battre qu’avec des gens qu’on admire. T’étais plus grand, plus lourd, t’encaissais, ça aurait été marrant. Après avoir saigné un peu on se serait marré un peu puis trouvé un comptoir et, après une ou deux bière histoire de se réhydrater, on serait passé à du whisky, sour pour moi, à l’eau pour toi, c’est ça ? De quoi on aurait pu parler ? Certainement pas littérature, bien que j’aurais eu du mal à résister au plaisir de te faire mon imitation de Lucchini. Pas de bouffe non plus (pas question de parler de ça avec un amerlock d’origine schpountz). Pas des chevaux non plus, j’y connais rien. Des femmes ? Mouais, nous sommes tous les deux amateurs de jambes, mais peut être pas des mêmes. J’aurais aimé avoir ton opinion – si tu en as une – sur Chet Baker. J’aime bien, c’est doux et chaud comme une chatte ou un bon whisky. Et son histoire de junky qui s’est fait péter la mâchoire au sommet de sa gloire à quelque chose de romantiquement dramatique qui me plait beaucoup. Dostoïevski aurait pu faire sa biographie.  

 

Petite pose, chiottes et cinquième bière (la fraîcheur n’est toujours pas au rendez-vous). Je me demande si toutes les phrases de développement personnel ou d’amélioration de soi-même que je vois passer sur Facebook (tu ne connais pas mais faisons comme si) ne finissent pas de me donner définitivement la gerbe !  Moi la grosse merde minable avec mes cauchemars, mes aisselles moites et mes pellicules dans les cheveux, je commence à en avoir plus que plein le cul de ces citations à la con qui circules. Je n’aime que celle d’Hannibal Lecter : « J’adore les enfants, ils sont si tendres ». Je viens de l’inventer. Quand je vois une personne (souvent une femme d’ailleurs), branché sur ces trucs de perchés, je me demande tout de suite quelle genre de saloperie en elle elle tente de fuir. Et, généralement, parce que j’aime bien foutre la merde, je me débrouille pour qu’elle sorte. Tu l’as écris toi-même, à raison, les gens qui prônent le plus la paix sont les plus enclins à la guerre. Les gens qui parlent toute la journée de beauté intérieure sont les plus imbibés de crasse.

 

Elle commence à être longue cette lettre… Tu remarqueras que je t’ai pas pompé le nœud tant que ça. Certes, je t’ai fait l’injure de t’appeler maître, et d’imaginer notre rencontre, mais comme tu es mort et n’en as plus rien à foutre, je me dis que ça passe. Quitte à lécher un cul, autant que ce soit le tien. Tu as eu au moins la chance de vivre à Los Angeles, les putes femmes ne devaient pas manquer dans les bars. Dans mon bled elles ont toutes l’âge de ma mère et dans la petite ville d’à côté, elles bouffent du soja, s’habille avec des pyjamas indiens, puent des cheveux, ont des tatouages partout et de la conversation nulle part, elles parlent comme à Paris, détestent les chasseurs, la bière et les bons steaks saignants. La poésie leur échappe, elles ne connaissent que Mélenchon et les mecs avec des physiques de méduses qui sirotent leur lait d’amande sur des trottinettes électriques. Bref, y’a que des emmerdeuses ! Et les trois quarts du temps elles sont obèses et agressives ou minces et ingrates. Et comme je suis trop lâche, trop solitaire, pauvre et intolérant pour supporter ce genre de connerie, je suis en train d’écrire une lettre qui a dépassé les deux mille mots à un type mort au lieu d’aller chercher une chatte à fourrer pour la nuit. Je crois que je vais me rabattre sur un verre rempli d’œuf et de semoule chauffé au bain marie, ça fera tout autant l’affaire…

Ça semble pourtant simple sur le papier. On se rencontre, on se plait, on se marre, on boit un petit coup, on baise, on peut faire une vie avec ça. Mais non ! Il y a toujours les poils du chien, du tour d’à qui faire la cuisine, le « ce soir j’ai mal à la tête », se mettre d’accord sur un film à voir, faire attention aux mots qu’on dit, sinon ils renversent la situation. Le couple, c’est comme faire du canyoning avec du matos de prêt, tu ne sais jamais si et quand ça va craquer. Un mot, un geste, une formule mal employée, et t’as droit à une diarrhée de remontrances ou de silence assassins, au lit vide le matin ou à sa fuite vers une autre queue apparemment plus attractive. Pourtant je suis un bon coup, j’ai de la conversation, et je ne crois pas être trop chiant, même si j’ai mes vices. Et en plus je cuisine. Mais elles veulent quoi bordel ? Ça me fatigue bordel, pourquoi je ne suis pas zoophile ? Je me mettrais en couple avec ma chienne et ça serait la paix conjugale pour au moins 12 ans ! Mouais, la langue rappeuse ce doit être pas mal, après, les crocs…

 

Hank, je commence à être bourré. J’espère que tu lis toujours. Comment ça se passe là-haut alors ? Tu bouffes des haricots avec Céline ou picoles de mojitos avec Ernest ? Comment vont Jane et son cancer ? Dans quelle saloperie tu t’es réincarné ?  C’était quoi la marque de tes cigares bon marché ?

 

Ça y est, il pleut ! Enfin ! Ça sent bon l’herbe mouillée. J’ai rempli la gamelle de la chienne, l’ai appelé, elle ne veut pas sortir de sa niche. J’ai foutu ma sixième bière dans la soupe à l’oignon qui mijote en attendant les vermicelles. le ventilateur souffle, il fait chaud. La pluie vient de s’arrêter. Je vais m’arrêter là, j’en ai marre. Je vais poster ça sur le blog sans rien relire, ça me gonfle de relire. Je reviendrais peut-être pour une autre lettre, je ne t’ai pas tout dit. Mais en même temps… ça ne se fait pas de trop déranger les morts.

Alors va pour une septième bière. Et la vie qui se poursuit.

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