« N’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale,
c’est que c’est toujours la morale des autres »
Léo Ferré
À force de me casser les oreilles avec son coronavirus, mon collègue de travail va finir par me le faire attraper. Bon, il parait que la bestiole se fait remarquer et fait des petits un peu partout maintenant : Iran, Italie, France, USA, Chine bien sûr… Les joies de la globalisation. Même les virus voyagent en première classe. Après, mon côté lecteur de Cioran n’a rien contre, plus de morts égal plus de place, donc moins de chômage, des loyers moins chers, moins de file d’attente dans les supermarchés et, comble de la joie, moins de bobos urbains prompt à nous conceptualiser la vie comme un paquet de moraline. Mary m’a même dit qu’un type – on va dire un scientifique – a annoncé que soixante-dix-huit pourcents de la population mondiale sera touchée par le corona. Pandémie quoi. Tant que ça ne ventile pas du côté de mes proches, c’est plutôt une bonne nouvelle. Et les premiers à s’en réjouir devrait être les écolos. Moins d’humains moins de pollution pas vrai ?
Puisque j’en suis à parler de moraline et d’urbains, cette soi-disant affaire Griveaux m’a bien fait rire pour le peu que j’en ai entendue. Je ne suis moi-même pas un exemple de morale et de vertu, et je dirais même que la morale je l’emmerde puisque, étant Français, cela fait partie de mes prédispositions identitaires. Et j’en profite pour remercier grâcieusement monsieur Griveaux de m’instruire sur les normes moeursiales (ça se dit pas ?) de sa classe sociale dite élitiste. Après avoir eu la gentillesse de me définir comme un « beauf qui fume des clopes et roule au diesel », ce qui est le cas (merci pour l’augmentation du prix du paquet, d’ailleurs, connard), l’enseignement sociologique du bobo Strausskhanien ne s’arrête pas là. En tant que BQFDCERAD (Beauf Qui Fume Des Clopes Et Roule Au Diesel), et, j’ai envie de dire comme un GROS BQFDCERAD, je pensais que, lorsque qu’une fille nous plaisait, la meilleure façon de nous attirer ses faveurs était de lui sourire, de la flatter, de la faire rire, puis de tenter de la saisir par la taille pour l’embrasser et voir comment elle réagissait. Quel temps perdu quand on pense que les grands seigneurs issus de la Haute, eux, n’ont qu’à demander le numéro de téléphone, se filmer en train de se branler et puis envoyer la vidéo… Quel abruti je fais ! Merci donc, MÔN SIEUR GRIS-VEAU de me rendre compte de mon manque de classe !
Mais au final je m’en branle de la tige à Gri-gri la paluche. Les visions mêlées de Charles Gave et Pierre-Yves Rougeyron sur cette histoire collent assez à ma propre pensée, aussi je vais essayer de vous synthétiser ici leurs deux entretiens (dont – une fois n’est pas coutume – je vous mettrais les références en fin de texte, histoire d’aller voir par vous-même) : En tant que FRANÇAIS – j’insiste – donc non issu d’une culture police puritaine de la braguette, tant que les élites ne touchent pas aux gosses, leurs histoires de cul ne m’intéressent pas. EN REVANCHE, toujours en tant que FRANÇAIS, je leur demande deux choses : de FAIRE LEUR TRAVAIL, donc de servir le peuple (si on est encore en démocratie et pas , comme je le pense, en xénocratie) et DE SE MONTRER DIGNE DE L’HONNEUR QU’ON LEUR A FAIT DE LES HISSER AUX PLUS HAUTES FONCTIONS DE L’ÉTAT. Grigri n’ayant de respecté ni l’un ni l’autre, un petit coup de rasoir républicain de marque Guillotin serait du bel effet sur sa coupe.
Le plus drôle étant que cette vidéo soit apparue le jour de la Saint Valentin, quel beau cadeau pour sa femme ! Le notre a été plus rural : Mary m’a offert une pierre à affuter japonaise et un couteau fixe, je lui ai offert une paire bottes étanches et fourrée spécial neige ainsi que des chaufferettes. Chacun ses valeurs et ses nécessités…
Contre le malheur, plusieurs armes s’offrent toujours à disposition. Si le rire et la dérision sont sans doute les plus affutées, le cynisme d’y trouver une aubaine peu s’avérer tout aussi efficace. Aussi nos maîtres gouvernants ont profité de ces deux affaires pour nous proposer l’effacement des quelques libertés qu’ils nous restent, celle par exemple de se rassembler à plus de 5000 personnes pour gueuler contre eux. Pensant à ma mère qui doit voir la magnifique Beth Hart en concert ce week end, j’espère que la capacité de la salle s’arrête à 4999 non contanimés. Et, une destruction en entraînant une autre, pourquoi ne pas faire passer la réforme (mot moderne synonyme de destruction) des retraites par le si pratique et non démocratique article 49 alinéas 3 ? Réforme – je le rappelle au passage pour les friands communautaires – voulu et dû à notre appartenance à cette saloperie d’UE.
Pendant ce temps, au pays des péquenauds qui entravent que dalle, Mary et moi bossons comme des dingues. Il nous arrive, le soir, une fois arrivés du boulot, de simplement nous déshabillés et dormir tant nous usons notre énergie à créer de la richesse pour d’autres. Le week-end, je travaille encore, à nous faire un jardin, à semer des tomates et des navets et à regarder nos fèves pousser, histoire de se dire que ce sera ça de moins à dépendre du supermarché. Tous crevés que nous sommes nous n’avons pas ouvert un bouquin ou vu un film d’un seul coup depuis des lustres. Mon père m’a offert une paire de pompes dont une des semelles par déjà en couille, mon fils s’est pété la cheville, ces notes de collège font comme ma semelle et sa mère n’a rien trouvé de mieux comme idée de génie que de lui offrir un smartphone, histoire qu’il écrive en sms avant de savoir écrire français. Nous vivons toujours chez ma mère aussi, trouver un logement avec un petit jardin en milieu rural semble se révéler demander la lune pour deux actifs ne souhaitant pas mettre plus de 700 euros dans leur loyer. Le temps se déglingue aussi, en trois jours, nous passons d’une journée à 25°C à une chute de neige puis de retour à une journée ensoleillée à 25°C. Malgré cela, nous avons au minimum un mois de bouffe dans les placards et de l’argent de côté. Nous sommes heureux, conscients d’être – malgré tout – des privilégiés.
Tout ça pour dire quoi ?
À l’époque de la pas si romantique Rome Antique, l’étendue des savoirs était telle qu’un même homme pouvait être soldat, citoyen, naturaliste, philosophe, botaniste, historien, sénateur et paysan. L’idée de l’homme total, polyculturel, s’avérait une possibilité atteignable. De nos jours, un docteur en biologie moléculaire peut passer sa vie à étudier la vie d’une seule cellule mycorhizienne sans pour autant connaître ses interactions avec d’autres champignons. Aussi, raisonner, appréhender, lire et faire le lien entre les lectures (racine du mot intelligence) du monde dans sa globalité est une tâche rendue impossible pour tout homme normalement constitué. La monoculture a remplacé la polyculture, créant cette rare si particulière de « l’homo ça pense » : l’expert. Chacun se construit donc son propre système de penser et espérant que la réalité colle à sa façon de percevoir la machine. Et si ce n’est pas le cas, beaucoup, au lieu de se remettre en question, préféreront tordre la réalité pour la faire coller de force à leur vision. Dans tout ce foutoir, j’en arrive à un moment de ma vie où, atteignant bientôt les 35 balais, un petit coup dans le rétroviseur de ma vie me permet d’appréhender l’avenir de façon – je vais vous surprendre – positive. Je me rappelle il y a quelques années m’être pointé à un rendez vous Pôle Emploi. Ma conseillère c’était avéré être une ancienne pionne de lycée. En voyant mon CV elle m’avait dit texto : « En voyant ça, on imagine une certaine instabilité ». À l’époque, j’avais pris ça comme une claque, comme une définition même de mon incapacité à me foutre dans quelconque moule. J’ai été peintre en bâtiment, aspirateur de bagnole neuves, plongeur en restauration, magasinier, apiculteur, chevrier, esclave, manutentionnaire, maçon, travailleur à la chaîne, suicider, mis à l’asile, père, amant, fou furieux, mis en garde à vue, condamné, aimé, craint, haïr, humilié, admiré, révolté, écrivain indépendant, psychiatrisé, injuste, lâche, courageux, voleur, menteur, collaborant, colérique, fracturé, malade, désespéré, soudeur de métal, délégué de classe, pilier de comptoir, supporter de foot, élégant, maladroit, joueur de pétanque, poète, mélomane, fils, beau fils, frère, collègue, ami, ennemi, martyr, tyran, juge, rémunéré, non rémunéré, volé, payé au noir, mal payé, rénovateur de piscine, élève, maître, électricien, fouteur de merde, dragueur, séducteur, pathétique, drôle, amoureux, sage, admiratif, raisonnable, engagé, musicien, médiocre, immense, moyen, citoyen et maintenant maraîcher. J’ai vécu à la ville, à la campagne, sous un tropique, entre deux tropiques, dans une caravane sans eau ni électricité, dans la rue, sous une tente, dans les montagnes et dans la forêt. J’ai fait et j’ai été tout cela et j’en oublie. Alors, oui, instable je suis sans doute, mais j’en suis fier, car cette instabilité me rend plus riche en savoir qu’aucun prétendu expert ne peut l’être sur autant de sujets. Amateur en tout, expert en rien. La polyculture ne doit pas être qu’une affaire agricole.
D’accord, mais tout ça pour dire QUOI ? Qu’à l’époque où nous en sommes, l’énergie qu’il faut pour s’éclaircir les idées avant de rentrer dans la facilité de donner un avis peut être assez considérable. La majorité des intellectuels et élites de ce pays ayant choisi de trahir, c’est à nous qu’il appartient – petit peuple – d’en prendre conscience, et de choisir, ou pas, de nous débrancher de la machine. On peut le voir de partout, tout fout le camp et c’est de plus en plus la merde : alors on fait quoi ? Collaborons-nous à un système qui tente de plus en plus à asservir ou préparons-nous notre indépendance ? Que vaut-il mieux faire ? Gueuler sur le fait qu’on laisse entrer des migrants contaminés ou faire pousser des fèves en cas de possible retranchement ? En ce qui me concerne, pour moi l’ennemi est celui qui m’enlève des libertés, pas celui dont le taux de mélanine est supérieur au mien. Sauf si celui-ci rentre dans mon domicile à 4 heures du matin en vue de me nuire, mais c’est autre chose…
Charles Gave (sur Griveaux)
Pierre-Yves Rougeron (sur Griveaux et autres)
Emmanuel Todd (sur le sujet de la destruction des retraites)
et pour se détendre, un petit Beth Hart