12h37
Ce matin. Le soleil passe doucement au travers des volets entrouverts. Le ciel vient de passer du violet au feu, à peine. Je me suis réveillé avant elle, et je prends un temps pour la contempler… J’écoute son souffle, tranquille, contre mon épaule. Puis, le plus délicatement possible, je tourne mon visage vers ses cheveux. Je la respire. J’ancre par tous mes sens, au plus profond mes cellules, la totalité de ce qu’elle est. L’air du bord de mer inonde la chambre, accompagné du murmure des vagues berçant la scène.
Un réveil au Paradis. Rien ne presse. On est ensemble. Pour de vrai. Pour de bon.
Je reste là, longtemps. Puis, n’y tenant plus, je pose une main sur ses hanches, et tente de me détourner doucement. J’ai peur de la réveiller. Elle bouge un peu ! Je la sens me chercher du bout de ses jolis doigts cerclés de bagues. Puis elle ouvre ses grands yeux noirs, déjà brillants d’un sourire. Ils se referment, se rouvrent lentement, et sa voix encore froissée de sommeil me murmure doucement. « T’es réveillé ?
– Depuis que je t’ai rencontrée, ouais. »
Elle fait la moue genre « cause toujours » et je souris. On reste là, un instant, dans la tendresse de nos deux corps chauds. Le café peut attendre. Le monde peut attendre. Tout ce que j’ai à faire c’est ça : la serrer un peu plus fort, la respirer, savourer, et me dire que « oui », j’y suis. Je suis là, dans ma vie, enfin.
Sur le comptoir de la cuisine aux murs de bois blancs, le café fume doucement dans sa tasse. Alors que je l’entends prendre sa douche, je m’empêche de prendre une cigarette (une vieille habitude que je tente de perdre avant que ce soit elle qui le fasse) et saisis une pomme, puis ma tablette afin de répondre à quelques commentaires de mes lecteurs. Tous aimables, tous admirables. Je suis écrivain indépendant. J’ai un certain succès. Je me propose au monde, doux, tendre, aimant, par le biais de mes écrits. Et le monde me le rend.
Cela n’a pas toujours été le cas, loin de là. Longtemps, j’ai eu peur, la peur que ce soit bien. Comme si, écrire sur la beauté du monde était ringard, et que ce soit lu, mal interprété, cassé.
Deux papillons marrons viennent de rentrer dans le salon. Ils dansent ensemble en se tournant autour, ils sont marrants.
Et donc j’ai bloqué avant même d’avoir aimé, avant même d’avoir créé. Je me disais que si je me montrais, j’allais être rejeté, crucifié. Alors, je me cachais, sous une littérature défaitiste, sombre, parfois drôle certes, mais de cette drôlerie malheureuse que certains appellent le réalisme. Et Elle, en était un exemple. Le paradoxe était que plus je vivais des moments lumineux avec elle, plus cette peur que tout s’en aille revenait. Tout simplement parce que j’avais peur que la beauté soit un piège, un leurre avant la chute. Alors, la chute, je la précipitais.
Mais la vérité, c’est celle que les papillons montrent : on peut danser sans se heurter. On peut créer sans se condamner. Et si toi, qui que tu sois, tu lis ce texte un jour, peut-être y verras-tu cette beauté que je porte et que je ne m’autorisais qu’à moitié. Ou peut-être pas. Et ce n’est pas le plus important.
Le plus important, c’est de s’autoriser soi. À aimer, à rêver, à écrire ce que l’on désire vivre. Se dire « J’ai le droit d’écrire le bonheur. J’ai le droit d’être aimé pour ce que je suis quand je suis heureux »
Sa douche est terminée et je la vois débouler dans la pièce, la peau du visage rougie par l’eau, elle porte une chemise bleu ciel trop grande et ses jambes dansent sur le parquet. Je sors de mes rêveries d’écran pour rentrer dans un autre rêve, celui de la voir là, à mes côtés, rayonnante, rayonnée.
« Pourquoi tu souris bêtement comme ça ?
– Parce que je suis heureux. »
Tout à l’heure, si le temps s’y prête, nous nous promènerons sur la plage, en compagnie de nos chiens. Mais pour l’heure, il est temps d’incarner. Je vous souhaite une merveilleuse journée.