….Il est samedi et septembre vient de pointer son nez. J’écoute Radio Classique en fumant de la poudre de clope – les allocations ne sont toujours pas tombées – je bois des repasses de café dans la pénombre de la chambre, la lumière me brûle les yeux et il fait un vent d’enfer (ce qui n’a rien à voir avec la pénombre mais que je tenais tout de même à souligner). Le réveil affiche treize heures vingt-quatre, ce qui n’est pas si mal. Ma gonzesse est partie tôt au boulot et revient tard. En gros, je suis peinard, les couilles au chaud et la tête libre, ce qui est dangereux pour moi, surtout sans bières… Je rêve d’un frigo rempli de bières… Je disais que c’est dangereux, pour moi, d’avoir la tête libre, parce qu’elle a tendance à se passer en boucle un bruit de fond qui prend le dessus sur la vie. Un bruit de fond qui pourrait se résumer comme ça : « Tu vaux que dalle, t’es qu’une chiure de moineau en train de sécher sur une dalle de béton paumée sur tout un tas de gravats ». Ouais, un truc du genre… ce qui n’est pas si faux quand on regarde bien. Pour dire : il me faut deux briquets pour allumer une cigarette. L’un n’a plus de gaz, l’autre n’a plus de pierre.
….Lorsque je me sens dans cet état d’imposture face au réel, même écrire me semble être de la triche. Après tout, tout a déjà été fait pas vrai ? Alors je vais voir « mes collègues » contemporains, ceux qui comme moi tiennent des blogs sur la toile et tentent d’attirer le lecteur dans quelque traquenard économique afin de lui faire raquer de quoi acheter du tabac un peu moins sec. Et immédiatement je vais mieux. De ce que je vois, aucun n’a l’air de fumer (d’ailleurs les aucuns sont souvent des aucunes). Alors je visite leurs sites, et me dénigre parce que le nombre de lecteurs, d’abonnés et de commentaires n’a absolument rien à voir avec le mien. Alors je me dis « merde, j’écris si mal que ça ? ». Alors je cherche à savoir ce qu’ils écrivent… et je ne trouve RIEN. MAIS RIEN DE CHEZ RIEN. Autant le dire comme ça : sur tous les blogs d’écrivains que j’ai pu visiter, je suis le seul à montrer ce que j’écris. Et je me demande si l’écrivain ne se prend pas pour une race à part ? Est-ce que ça nous viendrait à l’idée de visiter un site d’artisan coutelier et ne voir aucune pièce fabriquée par le coutelier en question ? Y voir seulement des vidéos de tuto ou des critiques d’autres couteaux ? C’est bizarre non ? Mais c’est peut-être là le secret ? Savoir vendre ce qui est caché. La plupart commentent leurs lectures (en gros les écrits d’autres écrivains qu’eux), critiquant ainsi les autres écrivains tout en se gardant bien de s’exposer eux-mêmes, d’autres photographies (le comble !) leurs sorties à la campagne ou au salon du livre, quasiment tous donnent des conseils pour écrire alors que, honnêtement, il n’y en a qu’un à donner : se poser quelque part seul avec soi et observer ce qu’il en sort.
….Le moral déjà bien bas, je me balade ensuite sur tous ces sites d’écriture bien populaires, comme Wattpad ou Scribay, où je poste quelques fois des écrits très peu lus, et je visite un peu ce qu’écrivent (là pour le coup c’est vrai) mes collègues contemporains qui eux sont beaucoup énormément lus, commentés, aimés, en dialogue perpétuel avec toute une communauté d’amoureux des mots. Et en moins de trente minutes à lire ces écrivains à succès, j’ai déjà les yeux qui saignent. Et deux sentiments contradictoires viennent en moi : « Je n’ai rien à craindre d’eux » et « je ne comprends pas ce qu’on leur trouve ». Mais vraiment, quelque chose m’échappe. Du vide, leurs mots sont vides de toute vie.
….La rue, la nuit, la galère, les chaussettes mises trois jours d’affilés, les chaussures à semelle usées, le bac à vaisselle qui déborde, les trous de cigarettes dans les t-shirt, les dents tachées, les pâtes luxueusement aromatisées à la sauce Maggi (quand il en reste), le mal de dos, les ongles incarnés, les toiles d’araignées dans les coins du plafond, cette fois où tu as appris que ta femme te quittait par sms, la première fois que tu as giflé une fille, la dernière fois que tu t’es fait péter la gueule, que tu as dormi dehors, que tu as vomi, que tu as dormi dans une cellule, ce que tu as pu voir de la psychiatrie, ta dernière crise d’hémorroïde, tes caleçons troués, tes nuits blanches de crises hépatiques, ces femmes qui te snobent dans la rue, cette vie que tu perds à vouloir la gagner, le blues, le rock, Satie, la poussière, la paperasse en retard, la peur du dentiste, la douleur de ne pas pouvoir aller chez le dentiste avant trois semaines, les poux, la solitude, l’excès, tes lunettes de vue rayées, cette fille de quinze ans qui se jette du pont à côté de chez toi après s’être fait séquestrée et violer durant un mois par son grand père, sa famille qui ne la croie pas, les tatouages de papillons au-dessus du cul avec écrit en dessous une phrase en thaïlandais, l’augmentation du prix de l’essence, la batterie de la bagnole HS, le portefeuille égaré, le compte en banque bloqué, le sourire de ton gamin, ce boulot où tu passes toute la journée dans le bruit d’une usine à aspirer des coffres de bagnoles que tu ne pourras jamais te payer, la soif, le froid, le cendrier que tu renverses sur le clavier, les pleurs de ton môme lorsqu’il vient te voir le genou écorché, comment il te regarde lorsque tu le soignes, la force avec laquelle il peut t’aimer, cette peur qui te tient au ventre de tout gâcher, l’odeur du ciment qui te vole dans la gueule, les embrouilles à la sortie des bars, toutes ces filles que tu aimerais baiser, toutes les fois où tu as débandé, le pipi, le caca, le foutre, le pus, le fait de pleurer à poil dès le matin dans ton plumard, le réveil qui sonne à quatre heures du matin, ces boulots de nuit payés au tarif de jour, la vie dans quatorze mètre carrés, des boites de champignons qui te giclent à la gueule quand tu essaies de les ouvrir, et tout le reste… il n’y a jamais rien de tout ça dans leurs écrits. Ou alors, quand ça y est, c’est tellement… comment dire… velouté… comme un vieux film tourné en pellicule, avec le point tellement flouté que l’on se demande si ce qui est tourné a vraiment existé, comment voyaient ces gens derrière leur écran presque violet. J’ai beaucoup de mal à imaginer Raimu ou Fréhel voir en couleur, à parler sans craquement dans la voix.
….Sauf que ce qui fait le charme de ces vieux films n’en a aucun dans les écrits actuels. Les vieux films, au moins, avaient le mérite de parler de la vie de façon authentique. À croire qu’ils (je vous laisse le soin de deviner qui est ce ils) n’ont jamais existé. Alors je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire sur notre époque, sur nos écrivains et sur nos lecteurs, et pour tout dire je m’en fous de plus en plus je crois. Dans mon coin, avec mes poudres de clope et mes repasses de café, pour le meilleur ou le pire, je n’ai rien à voir avec la majorité des écrivains actuels, ce qui est très rassurant pour mes futurs lignes, sans doute moins pour mon stock de tabac frais.
….L’important demeure, encore et toujours, d’écrire. Pas d’expliquer comment on fait, le faire. Libre à tout le monde, au final, de choisir son sujet. Je crois que j’ai choisi d’écrire au plus près de mes tripes ce que je vois parce que je n’ai aucune imagination. Et sans doute que je n’ai aucune imagination pour me concentrer sur le style. Peut-être que l’essentiel dans ce monde est là : trouver son style et traverser la vie avec.
….Bien entendu, je sais qu’il y a au monde au moins deux races d’écrivains et deux races de lecteurs. Je parlerai des écrivains plus tard. En ce qui concerne le lecteur, disons qu’il y a celui qui prend un livre pour s’évader de ce monde, et celui qui prend un livre pour tenter de comprendre le monde. Ou du moins pour trouver une façon de le raconter. Ou encore, le lecteur qui cherche l’écrivain, celui qui avec ses mots aura parfaitement décrit ce qui se passe à l’intérieur de vous, avec originalité, style et courage. Je pense à Fante, Céline, Bukowski ou La Fontaine.
….Aujourd’hui (mais cela date t-il vraiment d’aujourd’hui), les écrits applaudis par les lecteurs de ces sites (je ne vais même pas causer des lauréats de prix littéraires) sont au reflet de la société : les préoccupations de la majorité sont étouffées par la mise en valeur d’une minorité bruyante. Comprenez par-là qu’en tant qu’homme blanc, hétérosexuel, omnivore et athée, mon discours est intolérable. Je suis un machiste, raciste, spéciste, populiste… bref, je ne suis pas un élitiste, globaliste, féministe, saladiste,… bref, toutes ses formules en iste qui sont employées depuis quelques temps pour une seule et unique raison : dénigrer un discours jugé inadmissible par les progressistes (tiens, encore un). Écoutez les chroniqueurs comiques autorisés à la radio : leur seule arme : la méchanceté. Devant un discours qui dérange, le tourner en ridicule est une arme bien plus efficace que l’affronter avec des arguments contraire. Taxez un homme de machiste et l’affaire est pliée, c’est un vilain, un pas beau, donc tout ce qu’il peut dire n’a aucune intérêt. Surtout si, socialement comme moi, vous n’êtes rien. Je me demande, à cette heure, combien de procès Coluche aurait en cours avec ses blagues sur les cocus, les noirs qui ont des accidents de motos parce qu’à 140 km/h leur lèvre supérieure leur couvre les yeux, les fonctionnaires si rapides que finissant le travail à 17 heures ils se retrouvent à la maison à 15h, les juifs portant des pantalons si moulant qu’on leur voit en même temps le sexe ET la religion, les bègues, les boiteux, les belges (non, ça on peut encore), les suisses (ça aussi), les femmes, les pédés qui ont baisé des femmes en leur proposant un rendez-vous sans y être allés, les arabes CRS, Dieu qui a inventé les catholiques pour qu’ils y en aient encore qui achètent au détail, les nains qui ne peuvent pas mettre de Tampax au risque de marcher sur la ficelle, les aveugles qui se rendent à des spectacles de mimes et, bien sûr, sans oublier la recherche sur le SIDA qui n’avance pas parce que les rats refusent de s’enculer dans les laboratoire ? Dans ce beau pays de liberté, les associations hurlant le progrès social ont été en première ligne pour flinguer une parole libre. Une parole si bridée qu’elle en est venue jusqu’à permettre aux cerveaux de s’autocensurer eux-mêmes. C’est-y pas magnifique ? Comme le disait Michel, toutes les plaisanteries ne sont pas bonnes à faire, on nous l’a souvent répété, et bien voyez, on continue !
….Cela va sans dire, en lisant ces lignes, et en appliquant la formule s’y énoncée, le plus simple pour vous est de vous dire que je suis un homme aigri, blasé, frustré et intolérant, ainsi vous balaierez d’un revers de main toute réflexion. Mais je m’éloigne… revenons à nos écrivains…
….Certes, je pourrais m’attaquer (d’ailleurs c’est moins un attaque qu’un constat) aux « vrais écrivains », qui sont publiés – eux – et donc ont montré que leurs histoires ou leur écriture étaient valables… En dégageant tout de suite le contre argument 50 nuance de Grey ou Twilight, je dirais simplement que je suis un écrivain du sous-sol, et que donc, ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe dans les profondeurs littéraires de ce monde…
….Bien entendu, il y a là beaucoup de mauvaise foi, mais vu le nombre de morts comptabilisés par les bonnes fois, pourquoi ne pas tenter quelque chose de différent ?
….J’imagine que l’écriture, pour la majorité de mes collègues, n’est qu’un loisir, un passetemps, comme d’autres font du yoga ou du karaté. La plupart doivent être mariés, avoir des amis, un toit stable, un boulot fixe. D’ailleurs c’est l’argument que l’on m’a sans doute le plus rabâché : « trouve un boulot alimentaire » ou pire « trouve un vrai boulot. » Tout est là : certain écrivent par ennui, d’autre pour éviter de poser des bombes. Et le tout se trouve mélangé sur la toile. Le problème c’est que l’école des loisirs gagne.
….Que l’on soit d’accord tout de suite, je n’ai aucun mépris ni aucune animosité contre ceux qui écrivent de l’imaginaire. Mais deux romans en sont truffés. Mais toute histoire doit porter un propos, sinon c’est parler pour ne rien dire.
….Écrire sans urgence, sans nécessité, écrire « quand on a le temps » est pour moi la pire chose qui puisse arriver à des mots. Je ne connais aucune sensation plus grisante que de voir une feuille se remplir lorsque le contrat de départ était « si je n’arrive à rien écrire aujourd’hui, je me flingue ». Maintenir sa vie en joue à chaque mot demeure le moyen le plus efficace d’aller à l’essentiel le plus simplement possible. Ma quête est là : aller au plus efficace, au plus net, le plus directement possible. Et dans n’importe quel métier, il me semble que cette maxime peut faire loi. Si l’aphorisme demeure l’ultime étape, c’est là que le poème y trouve aussi toute sa valeur. Mais pour illustrer ça, laissez-moi m’aérer quelques heures (j’ai mal au cul), à mon retour, vous lirez le poème qui suit :
Se laver les dents, chier et…
se rendre compte que le rouleau de pq est dans la pièce d’à côté.
Mouiller sa dernière cigarette.
De rage
se coller un blouson sur le dos
et des écouteurs dans les oreilles
se balancer un disque de Howlin’ Wolf
et se balader le ventre vide
dans les rues pleines
d’un jour de soldes.
avoir le vent dans la face
et voir la mer démontée
rêver de moules-frites
repenser aux miettes de biscottes
qui traînent sur l’étagère
dans leur paquet éventré
et voir tous les passants qui se démènent
passer au magasin d’un ami
dire bonjour
se voir offrir une cigarette
faire une partie de jeu vidéo
perdre
fantasmer sur une cliente
avec des fossettes
puis dire au revoir
et repartir en se freinant d’aller au bar
alors que le jour se couche
le disque toujours dans les oreilles
en manque
et le vent dans le dos cette fois
avec la mer
sourire de voir que tout est à sa place
parfait.
….Trouver cette simplicité et cette ligne droite en accès direct aux tripes, je ne dis pas que j’y arrive à la perfection, ni que je suis un cador dans le domaine (Céline, Fante, Bukowski et La Fontaine sont passés avant moi et tiennent ferme la distance). Je dis que, comme tout artisan, je pratique et j’apprends chaque jour à mieux exercer. Peu importe l’ambiance économique, le succès, le nombre de lecteurs et le nombre de défaites. Si les chiens se lèchent les couilles, c’est parce qu’ils y arrivent, moi c’est pareil. Il y a les motards du dimanche et ceux qui sortent toute l’année. Si les premiers sont ceux qui attirent le plus l’œil, ce sont ces derniers qui se prennent le plus de gamelles, et par conséquent savent le mieux se relever.
….Alors, après tout ça mes chers collègues bloggeurs, qu’ajouter sinon que c’est au lecteur de choisir ? Et qu’à voir ce que j’ai vu, le choix est fait. Tant mieux pour vous, c’est que vous êtes brillants. Mais très sincèrement, je préfère mille fois ma place à la vôtre.
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(si tu as aimé ce que tu viens de lire, merci de mettre un « j’aime » et de partager (et si t’as la force, tu peux même t’abonner). Je sais, c’est paradoxal mais que veux-tu, même une pute à clic peut-être libre non ?)
Moi, j’ai les yeux qui saignent quand le texte est bourré de fautes de français. Je lis quelques lignes et je stoppe! Faut pas être maso!
tu parles du mien ? Ah merde !