Journal Souterrain

24 avril 2024 – Retrouvailles aux jeux d’enfants

« Tout se résume à la dernière personne à qui
tu penses la nuit, c’est là qu’est ton cœur »
– Charles Bukowski

 

9h41

Y’a des gens, t’as beau te croire séparés d’eux par le son, l’image ou le toucher, il y réside toujours une trace d’eux, en toi. Comme une impression, au sens premier du terme. Quelque chose d’eux qui est venu te percuter quand tu n’as pas su encore le reconnaître comme t’appartenant. Un être venu imprimer dans ton cœur la totalité de l’empreinte de qui il est. Et cette empreinte, si profonde, reste et persiste… malgré la distance… malgré l’absence. Une inscription dans tes cellules. Et tu te rends compte alors, lorsque tu luttes, que tu vis cela dans le manque, que cette empreinte est trop lourde à brandir, comme un tatouage invisible ou une blessure jamais cicatrisée. Tu comprends que même le temps ne pourra l’effacer. Peut-être seulement la rencontre d’une personne faisant une impression encore plus forte, plus profonde encore, dans la plage de sable qu’est ton cœur, balayé par le vent des émotions.
Le hic qui souvent se passe, c’est lorsque l’empreinte est connotée comme « négative », on appelle cela un trauma je crois. C’est ce qui m’est arrivé autrefois. J’ai invité quelqu’un à entrer dans ma vie, à entrer dans mon cœur. Puis cette personne est partie, sauf dans mon cœur : son empreinte est restée. J’ai longtemps lutté pour l’oublier, « passer à autre chose » comme on dit. Je me suis raconté toutes sortes de films, des plus joyeux au plus sordides. Je me suis fait mal tout seul, dans le silence de mon corps et le hurlement de mes pensées. Cela a duré des semaines, des mois, plus d’une année.
Et puis un jour, un matin, j’ai déposé les armes. Un commandement à renoncer à la lutte. Et cette empreinte, au lieu de chercher à l’effacer, à vibrer de son manque, j’en ai embrassé la présence, bercé d’amour, de compassion et de tendresse. Je l’ai vécu comme une bénédiction plutôt qu’un châtiment. On peut aimer sans être aimé, gratuitement, sans chercher de réciprocité. C’est ce que j’ai fait. J’ai fermé mes yeux et mes autres sens à tout ce que le monde appelle la « réalité », et en moi, dans le plus grand secret, j’ai pris soin de cultiver le plus tendre sentiment qui m’ait été donné de concevoir. Ne plus réagir à ce qui se passe dehors, agir comme on voudrait que ce soit dedans. S’aligner.
Et la réalité se transforme…
Et ce matin, tôt, j’enfourche la moto pour répondre à l’invitation, j’ai dans mon sac un livre dédicacé. Le printemps est bien entamé, les jours rallongent et l’air frais du matin ne pique plus. Le plein d’essence est fait depuis la vieille. Je démarre tranquillement, j’ai plus de deux cent bornes à faire, j’ai tout le temps. Je profite, je me promène sur les routes de campagne, dans le panorama de ma vie, de la Provence au Var. Le moindre brin d’herbe, la moindre odeur, le moindre virage est une manifestation de la conscience qui m’habite.
Dernière grande ligne droite, direction la plage. J’ai longtemps rêvé de cette image : moi chevauchant ma bécane, sillonnant cette route. C’est fait ! Enfin, je me gare sur le parking de sable, stoppe le moteur, met la béquille, enlève le casque. Mes oreilles bourdonnent un peu. Je prends le temps de respirer… La mer est en face, salée, paisible, avec sa grande île au loin.
Je saisis mon téléphone et envoie un message « Je suis là ». Sur le coup j’ai un beug : à qui est-ce que j’envoie ça ? À elle, ou à moi ? Peut-être aux deux ? Peut-être à personne. Peut-être au UN, cette chose qui nous unie tous, mais qui joue à la séparation pour se donner l’illusion d’exister. On s’en fout. Je me sens posé, doux, comme enveloppé dans une couette émotionnelle sécurisante, calme, confiante. Ni joie, ni tristesse intense, quelque chose de… serein.
Ok, j’arrive. À tout de suite. Premier réflexe sur mon visage, lorsque je lis ce message : un sourire. Et tout de suite après, une tension, comme un avertissement de mon corps. « Et si… » que ça pourrait dire. « Et si ça se passait… mal. Comment survivrais-tu à cela ? ». J’écoute cette voix, je lui dis que je l’entends, que je sais qu’elle est là pour me protéger, mais que ce n’est plus elle que je crois, car il n’y a rien à craindre, car tout ceci est MOI. La pensée s’apaise, même si le tract est toujours là. C’est comme l’agitation d’un enfant avant un tour de manège, j’ai peur d’avoir peur, mais je suis excité de vivre cette expérience.
Je mouline des pensées comme durant plusieurs minutes, sans m’en rendre compte. Et puis tout d’un coup, comme un appel, ma tête se tourne, et je la vois, à quelques dizaines de mètres, avancer vers moi. Mon âme éclate de joie, mon sourire aussi, mon cœur s’accélère, il va falloir rentrer dans le manège… Je vois qu’elle me voit, elle aussi de loin. Elle baisse un peu la tête, pour cacher son sourire, peut-être même que ses joues rougissent un peu ? Elle reçoit et vibre la même timidité, la même sensation, cette gêne charmante de vulnérabilité lorsque la tendresse et l’impatiente étirent le temps, dans cette certitude que le cadeau arrive, sans qu’il soit encore là.
Elle est là. Putain ! Elle est là, à quelques mètres de moi !
Elle relève la tête. Effectivement, elle est un peu rouge. Je suppose que moi aussi. Nos yeux se voient, nos âmes se voient, nos bouches sourient. Plus que quelques pas… On ne se lâche pas des yeux. Y’a rien à dire, tout est là : mon cœur à reconnu son cœur, son cœur à reconnu mon cœur, on y est, c’est… ÇA.
Je réouvre mes sens. Ce que j’ai cultivé à l’intérieur de moi est désormais là, dehors, en train de fleurir sous mes yeux. Toujours silencieux, on se prend dans les bras. Il y a… cette évidence, qui nous a fait si peur autrefois. La reconnexion sensible de deux cœurs qui s’aiment, chacun à leur façon. Nos corps savent exactement comment se connecter, s’enlacer. Parfois, chez certaines personnes, on ne sait jamais vraiment où placer les mains, comment se serrer, y’a toujours, comme une appréhension. Ici, il n’y a rien de tout cela, je vous l’ai dit, tout est évident. Je sens son parfum, son contact, l’essence même de ce qu’elle est. Des larmes montent, une sensation de béatitude immense, un soulagement, toujours ce sourire large comme ça. On se serre fort, puis on se recule un peu. Je la regarde, elle aussi a les yeux un peu mouillés. On se fixe un instant, ce genre de moment détaché du temps, dissout, éternel. Et puis, l’éclat de rire, la joie…  Le tour de manège peut commencer.

Allons jouer.

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