« Alors c’est ici que tu aimerais que l’on vive ?
– Qu’en penses-tu ?
– J’aime bien… c’est d’accord. »
Elle m’a balancé son petit sourire en coin, illuminé de ces beaux yeux bleus. Le jour se levait à peine sur la mer du Var. Nous étions fourbus mais heureux, en train de boire nos cafés sur la terrasse de l’hôtel. En trois jours nous nous étions mangés quelque chose comme 700 bornes au guidon de nos bécanes. Et c’était notre première nuit dans un vrai lit depuis quinze jours. On en rêvait séparément, chacun de notre côté, et là, avec Sophie, enfin, on le faisait : un road trip en moto. La prochaine étape serait d’aller vers Castres, voir mon père, puis Max en Dordogne. Max s’était fait un nom sur internet. Dans son domaine, c’était un bon. Lorsque je l’ai connu, j’étais bon a ramassé à la petite cuillère. Cela faisait trois ans. Depuis nous étions devenus amis. Donc Max, ensuite ça serait la Bretagne, puis la Belgique, une partie de l’Allemagne et puis la maison. Nous revenions du bout de la botte de l’Italie. À notre retour, on emménagera ensemble, ici, au bord de la mer.
« Il va falloir en vendre des bouquins pour se payer une barraque ici.
– Et vendre quelques pièces de théâtre…
– Et vendre quelques pièces de théâtre. »
Sophie était actrice, sa dernière pièce, c’est moi qui l’avait écrite, un défi relevé.
« Bon, je ne ressemble à rien là, je vais me doucher.
– C’est comme ça que tu es belle. »
Les femmes se plantent toujours de ce côté-là. Elles croient qu’elles sont aimées quand elles sont coiffées, maquillées parfumées. Alors que, personnellement, je les préfère dans leur vulnérabilité, quand elles ont une dégaine à l’arrache, les cheveux en bataille au réveil et les yeux encore floutés.
Cela faisait un peu plus d’un an qu’on sortait ensemble. Il m’a fallu beaucoup de temps pour lui faire de la place dans mes tiroirs. Mais elle avait été patiente.
J’étais vraiment en vrac à l’époque. La femme que j’aimais, elle m’avait balancé par texto que la simple idée que l’on puisse se prendre dans les bras pour se dire au revoir correctement lui donnait envie de vomir. T’imagines la violence ? Je me sentais… comme un pestiféré, un chien galeux, un pesteux. Mais je lui devais mon éveil à ma « flamme jumelle ». Tout comme elle me devait le sien. Elle croyait que c’était des conneries. Moi, ce n’est pas ce que je ressentais et… au bout d’un moment, j’en ai eu marre de passer ma putain de vie à expliquer et/ou justifier des trucs aux autres. Tout comme j’en avais marre de vivre dans la certitude qu’il existait quelque chose d’unique entre nous et de nous voir tout foutre en l’air.
« Pourquoi tu veux pas me lâcher ? J’ai PAS ENVIE de te voir. »
Moi, j’avais pas envie de ne pas la voir… Mais dans cette histoire, à ce moment, c’est moi qui devait lâcher le contrôle. Pourquoi j’arrivais pas à la lâcher ? Il m’a fallut du temps pour le piger. La simple idée me donnait envie de crever. Tout comme l’idée qu’elle se fasse sauter par un autre me donnait envie de gerber. Comme un sacre souillé. Mais bon, comme elle disait, y’avait que le bus qui ne lui était pas passé dessus. Une image sale, et totalement fausse.
Je l’avais connue dans une autre vie, on avait été mariés. Et des hommes sont venus, pour la violer et la brûler. J’y étais passé aussi. J’ai rien pu faire, que pouvais-je faire ?
Pourquoi j’arrivais pas à la lâcher ? Parce que lorsque je l’ai fait, elle est morte. Et dans cette vie, c’est moi qui ai eu l’impression de crever.
Il y a des jours que je regrette, mais aucun de ceux où j’ai pu être en contact avec elle. Cependant ce lien m’avait détruit et, pendant un temps, j’étais retombé dans toutes mes addictions, alcool, clopes, écrans… Même physiquement, moi qui étais assez bien gaulé, à force de maigrir, j’étais devenu presque transparent. La vie me quittait… jusque dans mes gencives qui se rétractaient dangereusement, je ne trouvais plus rien de joyeux à croquer, ma vie avait le goût des deux paquets de cigarette fumés quotidiennement. Et puis, un jour, sans trop savoir comment, j’ai switché, je me suis autorisé à mourir, pour de bon, à dire adieu, pour toujours et à jamais, en silence, seul, nu face à moi-même et mes drames personnels. Quand tu n’as plus rien à perdre, tu peux tout laisser tomber, voir les humiliations et cet attachement inconscient que j’avais face à un masochisme délirant qui m’annihilait totalement. Alors, dans la colère et le désespoir le plus profond, j’ai tout lâché. Et je me suis mis à parier sur moi. J’ai tout renié, tout refusé, me suis coupé à toutes les sensations vécues depuis cette connexion au lien, j’ai récupéré mon énergie, j’ai fermé les yeux à tous les signes et synchronicités que je voyais, j’ai arrêté de prier pour elle, de lui envoyer de l’amour, et je me suis plongé à fond dans le boulot et ma santé. Je me suis dit qu’elle avait raison, que je me racontais des histoires à la con. J’ai récupéré la totalité de l’énergie que je lui donnais, en amour, en pensées et qui me pompaient. Comme si tout ce que j’avais traversé depuis le début de ma vie n’avait été fait que pour m’emmener là, à ce choix : Laisser tomber.
C’est là que ma carrière d’écrivain a décollé, et c’est là que j’ai rencontré Sophie, sur le parking d’un magasin de moto. On avait la même bécane custom, moi en modèle « trottinette » comme elle disait, elle en grosse cylindrée. Elle s’était gentiment moquée de moi ce jour-là, mais ça avait tout de suite collé. Depuis, ma vie avait radicalement changé, de précaire, voire pauvre, j’étais passé à une aisance financière hallucinante. L’abondance, le bonheur et la sérénité, malgré quelques nuages passagers, illuminaient le ciel de ma vie quotidiennement. Mes pensées, obsessionnelles et tonitruantes, étaient désormais calmes, légères, je les voyais passer sans m’accrocher. Mais… Il me manquait quelque chose… Sans vraiment savoir quoi, ou me l’avouer. Je ne me sentais pas si épanoui que cela. En toute honnêteté, mon coeur ne vibrait pas plus que cela.
Sophie s’est levée pour m’embrasser, ces longs cheveux blonds bouclés m’enveloppaient. Je kiffais cette meuf ! Et tandis que je regardais son joli petit cul trottiner vers la chambre pour aller se doucher, moi, je me reprenais un café. Le ciel était comme farfouillé par une brume d’écume, l’air calme, juste un peu lourd comme il fallait, je me sentais bien, à ma place, en paix.
Et le téléphone a sonné. Un message WhatsApp. J’ai tout d’abord cru que c’était ma mère qui m’envoyait une photo de ma chienne, qu’elle gardait et que son homme baladait souvent, ou simplement qu’elle demandait des nouvelles. Mais non. C’était un message d’ELLE… d’Emy. Il y eut comme un frisson tout d’un coup qui me parcourra l’échine, une sensation que je n’avais pas vécu depuis longtemps. Un mélange d’angoisse et de ravissement. Putain, j’en étais toujours là sérieusement ? J’ai pris un temps avant d’ouvrir le message :
« Salut Fabien, c’est Matthieu, le frère d’Emy.
Il lui est arrivé quelque chose de grave.
Je ne sais pas depuis combien de temps vous ne vous êtes pas parlé, mais elle te demande.
Rappelle-moi sur ce numéro s’il te plait. Merci. »
J’hallucinais. Juste là… j’hallucinais ! C’est la colère qui est venue en premier : Ça allait bien dans ma vie, et elle se repointait ! Comme par hasard à un moment où elle allait mal ! Mais qu’elle aille se faire foutre cette connasse ! Cette fois, je ne sombrerai pas pour lui permettre de monter.
Sauf que le message ne disait pas ça… Et tout d’un coup, en moi, je l’ai sentie, la montée d’énergie serpentant ma colonne vertébrale, et cette tristesse, immense, dans ma poitrine et ELLE, dedans. Le lien… Tout d’un coup, le lien était revenu, l’évidence d’une connexion dans l’invisible, comme une folie, tout, tout me réenvahissait, mon amour pour elle, ses paroles quand elle m’a rejeté, qu’elle a craché sur mes ressentis. Cette tristesse qui montait en cet instant, mêlée de cris, je le sentais, ce n’était pas la mienne.
Sans m’en rendre compte, presque comme un acte télécommandé, j’ai appuyé sur le bouton pour appeler. Matthieu a décroché, il avait une voix à peine audible, la voix d’un mec qui a peur, qui est triste, et qui n’a pas dormi depuis longtemps. Et il m’a raconté l’histoire : une bagnole électrique à percuter une voiture à essence. Le réservoir s’est percé et tout a pris feu. Emy passait par là, par hasard, elle se promenait. Les flammes, l’essence et les éclairs l’ont frappés, elle avait été gravement brûlée.
« Elle est restée presque deux semaines dans le coma. À son réveil, hier, le seul mot qu’elle a prononcé, c’était ton nom. Voilà pourquoi j’ai pris la peine de te contacter.
– C’est arrivé quand exactement ?
Elle était bizarre cette question. Mais c’est la seule qui me venait.
– Le 6 juin. »
Et là, je tombais sur le cul. Le 6 juin, c’était le jour où nous avons démarré notre road trip avec Sophie. Le 6 juin, y’a longtemps, c’était le jour de notre rencontre avec Emy. Hier, c’était le jour où nous étions arrivés ici et… comme par hasard, c’était dans cette ville qu’elle était hospitalisée. Le feu… Putain, sérieux ? Rien n’avait changé.
« Je te rappelle Matthieu, merci. »
J’ai raccroché. L’appel a duré 11 minutes 11. Je me sentais… KO, submergé, drainé. À cet instant, Sophie a débarqué, propre, joyeux. Son sourire s’est stoppé net quand elle a vu ma gueule. Elle ne m’avait jamais vu une tête comme ça. Je ne lui avais jamais parlé de mon passé, je voulais qu’elle apprenne à me connaître-là, dans le présent, pas l’homme que j’étais. Sauf qu’il faut croire toujours, que lorsque l’on tourne le dos pour fuir une situation, sous une forme ou une autre, la vie vous ressert le plat.
« Qu’est ce qui ne va pas mon Amour ?
– J’ai… Il y a… une histoire… que je dois te raconter. »
Chose étrange, je le sens, j’ai besoin d’un verre, et j’ai envie d’une cigarette. Le passé… J’ai pris ma belle par la main et on est partis se promener. Sophie avait de nombreuses qualités, l’écoute notamment, elle savait y faire avec les gens. En revanche, la spiritualité, c’était pas vraiment son truc. Et honnêtement, ça m’allait, que je l’ai dit, je m’en étais coupé, j’avais envoyé tout ça se faire foutre. Alors, j’avoue que je ne savais même pas par où commencer, ni vraiment quoi dire. J’ai pris le temps, tout en tenant cette main que je chérissais, cette main qui m’aimais, me touchais et me ressentais. Mais… je me rendais compte à cet instant, que je ne l’aimais pas vraiment comme j’aimais Emy, encore maintenant. Après tous les tumultes intense de ma vie, je m’étais comme assigné à ne rien ressentir d’autre que de la tranquillité, comme ce qui passe après l’amour, quand on a envie que ça marche. Mais… c’était des cracs que je me racontais. L’Amour, ça ne passe jamais. Et je m’en rendais compte à cet instant.
Je lui déballais l’histoire comme je pouvais, et on s’assis à la terrasse d’un restaurant sur le port. J’étais totalement perdu en moi, dans mes pensées, mes ressentis. J’arrivais pas à décrocher. On discuta, comme ça, en monde zombie pour moi.
« Qu’est-ce que tu attends ? Vas-y. Vas la voir.
– Tu crois ?
– Je t’aime. Et je ne t’ai jamais vu comme ça. En ce moment, tu as envie d’être partout sauf avec moi. Alors va là où tu dois aller. Fais ce que tu as à faire, puis reviens-moi. »
Comment ne pas aimer une femme de cette race-là ? Je la remercie, l’embrassa, et me dirigea vers la moto.
Je ne l’avais vu qu’une fois son frère, pas vraiment un des meilleurs souvenirs de ma vie. Oh, lui avait été parfait, c’était avec Emy que ça avait grincé. C’était là qu’on s’était séparé, et c’est là que le dépouillement de mon âme avait commencé. La nuit noire on appelle ça.
Il tenait une gueule de déterré. Je lui serrais la main. Leur mère aussi était là, pas bien belle à voir. « Merci d’être venu Fabien. » De rien. On échangea quelques mots, savoir comment elle allait ? Ils me demandèrent ce que je devenais. Ils ne savaient pas qu’on était resté en contact. « On ne l’était pas, elle avait tout coupé. Alors, j’avoue être extrêmement surpris qu’elle m’ait demandé. Surtout moi. » Je pensais être le dernier homme sur terre qu’elle voudrait voir. Et même, je croyais qu’elle en avait rien à foutre de moi, qu’elle me prenait juste pour un taré. Je demandais à une infirmière si je pouvais la voir. Pas longtemps qu’on me répondit. « Faut mettre une combinaison et faut pas la toucher. » On me prévient aussi : ça fait peur à voir. J’avoue que j’en avais rien à foutre, je n’étais pas là pour voir son corps, j’étais là pour voir ÇA. Alors je me suis habillé, et je suis rentré.
Je me rappelle une fois lui avoir dis qu’elle était parfaite telle qu’elle était, que même estropiée, je l’aimerais. Elle ne me croyait pas. Emy avait toujours eu de drôles d’histoires à se raconter sur ce que je croyais d’elle. Idem pour moi. Je ne lui en voulais pas.
Là, tout était blanc ou presque. Son corps était branché de partout, et recouvert presque en intégralité de gazes et de pansements. Elle semblait dormir. Un de ses yeux était bandé. Je m’installais doucement sur le tabouret à côté d’elle. Sans bruit. Plus de trois ans que nos corps ne s’étaient pas retrouvés dans le même espace, mais c’était comme si je l’avais quitté la veille. Immédiatement, alors que je regardais son visage endormi, quelque chose me pris dans la poitrine. Je connaissais bien cette sensation. C’était comme « à la maison », cette chose que je n’ai vécu que lors du mélange de nos énergies. Mais je m’en était coupé, comme elle. Là, ça prenait une autre dimension. Quelque chose de tendre, infiniment doux et lumineux, plus ample aussi, plus… connecté. J’entendis sa voix dans ma poitrine pleurer « mais qu’est-ce que j’ai fait ? » Je lui souris, intérieurement, « comme d’habitude, la perfection. »
Et je sortis de mes rêves lorsque j’entendis un murmure me dire « Hey, t’es là ? ». J’ouvris les yeux. Sa tête bandée était tournée vers moi. Elle plongeait son regard droit dans le mien. Tout ce temps de distance, c’est comme si on ne s’était jamais quitté. Ce n’était pas un regard d’humain. J’ai vu qu’elle me voyait et elle vit qu’elle était vue. Ça sourit, dehors et dedans. « Hey » que je dis tendrement, « Comment tu te sens ?
– Pas bien belle, c’est l’aboutissement d’une année de merte.
– Tu es parfaite, et tu le sais. »
J’ai vu sa bouche fredonner un « merci » dans un petit sourire crispé. Ça lui a fait mal de faire ça. Alors on s’est tu, juste on se regardait. Quelque chose avait changé chez elle, et j’ai vu que ce quelque chose avait changé chez moi. Elle avait arrêté de fuir, et j’avais arrêté de me cacher derrière mes peurs en lui courant après. On avait fait le boulot et, on le voyait. On se parlait, tendrement, sans rien se dire. On pourrait appelé ça de la télépathie, c’était pas ça, pas vraiment. C’était la reconnaissance de ce qu’on était, la même chose. Elle regardais l’univers dans mes yeux, et je voyais la totalité du Tout dans les siens. De nos deux côtés, les larmes montèrent, la joie.
« Je suis désolée, tu avais raison, j’avais pas vu. J’ai pas voulu te croire. Et je t’ai fait si mal…
– Hey…. Ssshhh. T’as rien à excuser. C’est ce qui devait se faire. C’est ce qu’on a décidé d’incarner. C’est le passé, garde tes forces pour maintenant. »
Elle me voyait comme une menace psychologique, alors qu’au contraire, j’étais son plus fidèle allié. Mais, là où je lui reprochais de fermer les portes, je n’avais pas vu celles que moi je fermais, tout comme son hyper contrôle était le mien. C’était passé. Je ne l’ai pigé qu’à cet instant, là, et me surpris à chialer. Son corps, là, avait beau être bousillé, sa première intention était envers moi. J’en étais bouleversé. J’avais fait le deuil de tels mots venant d’elle.
« Tu sais… T’es plus belle que jamais. Plus belle que tu ne l’a jamais été.
– Tu le penses pas.
– Arrête tes conneries ! Tu sais pertinemment que oui.
– Toi aussi tu es beau. Je me suis longtemps empêchée de te le dire. J’ai toujours vu ta beauté. L’homme merveilleux que tu es. C’est ce qui m’a fait peur je crois, d’être aimée à ce point-là, par un homme aussi beau que toi. »
J’ai beau être bon avec les mots, il m’est difficile d’exprimer vraiment ce qui se passait là.
Longtemps, contre elle, je me suis épuisé à lutter pour lui faire reconnaître ce lien, s’y connecter. J’avais l’intime conviction que ça nous mènerait loin. Elle vivait cela comme un viol. Alors, j’ai renoncé, me disant même que j’étais fou. Mais là, c’était vu, et on y était, on échangeait. Je savais qu’elle me ressentait en elle comme je la ressentais en moi. Ce n’était pas perché, au contraire, c’était la réalisation de ce qu’il y a de plus réel, lorsque toutes les armures et tous les boucliers sont tombés et que le cœur est ouvert. L’Esprit, restait là à s’observer, longtemps, une éternité. C’était un flux, une symbiose énergétique, deux êtres en syntonie. On ne prenait rien à l’autre, on ne donnait rien, on laissait circuler, et ça créait, et l’énergie augmentait, et… sans se le partager avec des mots, on savait, on SAVAIT, tous les deux, qu’on était en train de guérir son corps, qu’il ne resterait aucune trace visible de cet accident. Presque, on le voyait, ça passait dans mon cœur, descendait dans mon ventre, passait dans le sien, remontait à son cœur et passait dans le mien. C’était fluide, léger, évident. On se guérissait, elle, comme moi, au présent, sur nos passés.
Je savais, qu’elle aussi, malgré ses réactions, avait souffert lors de nos multiples séparations. À sa façon, en miroir de la mienne.
« Tu vas devoir t’en aller maintenant.
– Ouais. Je voudrais rester mais… C’est pas évident héhé, c’est à ton tour. T’as pris le relais.
– Je sais… »
C’étaient des murmures tendres tout ça. Elle avait peur, moi aussi, pour elle. Parce que je savais ce qu’elle allait traverser. C’était ce par quoi j’étais passé quand elle m’a envoyé chier. La nuit noire… c’est une nuit qui se traverse seul.
Emy savait aussi qu’en la laissant, là, ce n’était pas une vengeance, au contraire, la savoir seule, face à ça, ça me tuait. Mais, ça a été sans doute dans ma vie l’acte d’amour le plus inconditionnel qu’il m’ait été permis de poser, la laisser cheminer seule dans ses ombres.
On se retint encore un peu par les yeux et puis je m’en suis allé. Un mélange de déchirement et d’apaisement. Elle avait lié le lien, moi j’avais bien fait, tout était réglé, le contrat était terminé, la réunion faite.
Lorsque j’ouvris la porte et commençais à enlever mes fringues, Matthieu et sa mère bondirent presque sur moi.
« Déjà ? Ça s’est mal passé ?
– Non, très bien au contraire. Pourquoi ?
– T’es resté même pas trois minutes. »
Je souris. Le temps… n’existe pas. « Elle va avoir besoin de vous. Prenez soin d’elle. »
Je sortis, le soleil de juin me brûlais le visage tandis que dans l’ombre mon amour était brûlée. Mais, je savais que même avec son corps souffrant, Emy était en paix. Elle savait maintenant, nous savions, que peu importe la distance, quand elle le voudrait, elle pourrait se connecter au lien pour y puiser de la force. Elle n’avais qu’à le demander, je répondrais.
Je me sentais… réconcilié, plein, complet, enfin. Sur la voiture devant moi, une plaque d’immatriculation :
EF – 999 – FE
C’était le premier signe de ce genre que je voyais depuis que j’avais tout coupé. Je comprenais… Un cycle se terminais. Si nos corps dans cette vie étaient intouchables, nos âmes s’étaient touchées. C’était la seule chose qui comptais. Et j’ai su, à cet instant, que dans cette vie, je ne la reverrai jamais. Et pour la première fois, j’étais serein avec l’idée.
« Adieu Mon Amour. Tout va bien se passer. »
J’ai réenfourché la bécane et me vint alors à l’esprit les paroles d’une chanson, cette chanson qui était la nôtre : suivant la longue métamorphose qui m’éloigne de mon passé.
De retour à l’hôtel, Sophie m’attendait. Elle semblait inquiète. « Alors ? » qu’elle me fît. J’haussais les épaules, je me sentais… lessivé et totalement ailleurs. Mes sens étaient comme affutés tout pendant que le monde autour me paraissait aussi cotonneux qu’une couette. Je la regardais et, j’eue l’impression de la voir pour la première fois. Un nouveau masque était tombé. « Alors… Est-ce que tu veux aller te baigner ? »