J’avais envie de prendre la route. Pas de but précis. Simplement rouler et rouler encore. Prendre les petites routes et laisser ces pensées qui me scalpaient la tronche défiler avec le paysage. Après deux bonnes heures d’errances, j’ai fini par stopper dans un petit bled du Luberon. Un corbillard bloquait la circulation, et j’ai bien tourné vingt minutes avant de trouver une place de parking gratuite.
Comme il me restait un billet de cinq en poche, je me suis trouvé un bar. Bien qu’étant à peine au milieu de l’après-midi, et en milieu de semaine, le type au comptoir qui m’a servi ma mousse avait l’air d’en tenir déjà une bonne. Il portait des lunettes à monture épaisse et ce genre de t-shirt à manche longue qu’arborait Boby Lapointe : une marinière blanche avec de fines rayures bleues. La tête parfaite du psychopathe ambulant. Il m’a donc immédiatement plu. J’ai toujours aimé la compagnie des dingues, à condition qu’ils ne sentent pas trop la pisse. Les gens dit normaux ont trop de certitudes pour ne pas être ennuyeux. Passé un âge, ils n’ont plus rien de neuf à incorporer à leur caboche. Les gens avec un pète au casque, eux, ont toujours une information surprenante à vous transmettre.
Mon verre de bière en main, je suis rendu sur la terrasse au fond de la salle. Elle semblait déserte et offrait une belle vue sur la vallée. Je me suis allumé une clope et j’ai laissé mes pensées divaguer. Emma les dominait, forcément. J’avais beau la faire dégager, elle revenait à la charge.
Heureusement pour moi, elle est arrivée pour me distraire : petite, blonde, l’approche de la quarantaine sexy et armée de son diabolo grenadine, elle m’a balancé un « Bonjour » accompagné de son plus joli sourire.
« Vous habitez le village ?
— Non, ai-je dit, j’ai pris la route au hasard et me suis arrêté ici. Et vous ?
— Je prend la route pour aller à une fête chez des amis à Salon de Provence, je m’arrête ici pour souffler un peu et me détendre les jambes. Je peux me joindre à vous ?
— Avec plaisir. Au fait, je m’appelle Marc.
— Jessica. Mais je préfère Jess. Enchantée. »
On s’est serré la main, Jess est venue s’asseoir à côté de moi et la conversation a commencé à ce dérouler tranquillement. On s’est trouvé rapidement plusieurs points communs, et ça nous a fait rire. Jess avait un enfant du même âge que le mien, était en instance de divorce, composait des chansons à ces heures perdues et était taureau, comme moi. À trois jours près on avait le même âge. Je lui ai dit que j’étais écrivain et ça l’a intéressé.
« Tu écris quoi ?
— Un peu de tout, en ce moment je suis plus dans une période poèmes. Et je tiens aussi un petit journal, mais je ne crois qu’il ait un grand intérêt.
— Tu veux dire, comme un journal intime ?
— Le terme me renvoie l’image d’une adolescente de quinze ans, mais si tu veux, y’a de ça.
— Je risque d’être dedans alors ?
— Tu y es déjà. »
Il y eu ce moment de flottement, silencieux, rempli de grâce. On a percuté tous les deux qu’on se plaisait. Je me suis approché d’elle pour l’embrasser. Jess s’est laissée faire. Elle a fermé les yeux et nos bouches puis nos langues se sont mises à danser. Un vrai régal, Jess embrassait divinement bien. Puis elle a eu un recul presque brusque. Je l’ai sentie se fermer.
« Tu me plais beaucoup Marc, mais je ne suis pas sûre que ça colle entre nous. »
J’ai souris et me suis basculer un peu en arrière pour lui laisser de l’espace.
« Ce qu’il vient de se passer tend à te prouver le contraire. Mais je vois ce que tu veux dire, enfin je crois. Te toute façon on est amené à se séparer bientôt, alors, autant prendre cet instant pour ce qu’il est et puis pour la suite on verra bien, t’es pas d’accord ? »
Son sourire est réapparu.
« Si.
— Alors tu veux bien me laisser regoûter à tes lèvres, juste pour confirmer que je les aime beaucoup ? »
C’est ce qu’on a fait. Moi yeux ouverts, elle fermés. On a continué ce flirt une petite heure puis le soir à commencé de venir, il fallait qu’on décolle.
Par chance nos voitures étaient garées sur le même parking. On a joué le jeu d’être en couple jusque-là, se tenant par la main dans les rues du village. Cette sensation simple, de deux corps qui avancent ensemble dans le moment sans le pourrir d’enjeux, ça m’avait manqué. Et j’ai réalisé qu’avec Emma cette simplicité avait été tuée depuis des mois. Trop chercher de petites bêtes fini par créer un monstre dévorant l’amour.
Arrivés à sa voiture, j’ai pris Jess une dernière fois dans les bras, lui ai laissé mon numéro et l’ai laissé partir. Je n’avais aucune idée de savoir si elle appellerait ou pas. Et très honnêtement, je m’en foutais pas mal.