J’avais pas grand-chose à faire, ou plutôt – pour le dire honnêtement – tout ce que je devais faire ne m’inspirait pas tant que cela. Hormis écrire et tourner en rond chez moi, Cette journée ne s’annonçait pas oufissime, et, aux vues des derniers mois passés, y’en avait marre des trucs pas ouf, je m’étais suffisamment emmerdé la vie.
J’avais donc la bougeotte et, comme aussi je manquais de clopes, vers 19 heures, j’ai enfourché la bécane, et ai filé à Forcalquier pour boire et écrire dans un bar. Valait mieux cela rester chez moi. Quitte à ce qui ne se passe rien, autant que ça se passe ailleurs.
Je manquais d’une femme aussi, je commençais à m’en rendre compte. Exprimer de la tendresse envers quelqu’un qui réciproque me manquait un peu… C’est bien jolis les mots, mais nous sommes avant tout des corps pas vrai ? Mais… comme ces conneries de rencontre derrière un écran ne me disaient plus grand-chose, j’en étais là. Plus vraiment envie de tomber sur des gonzesses qui changent de mecs comme d’appartements ou de culottes et, comme je suis encore un peu timide… Voilà. Oh, ce n’était pas aussi dramatique que ça en a l’air en l’écrivant, plus maintenant, au contraire, ma vie allait bien.
Pour la première fois de ma vie, j’allais bien.
Enfin je crois.
C’était bizarre. De l’extérieur, surtout niveau finances, c’était la grosse déglingue, mais j’en avais rien à cirer. C’est un des avantages, je crois, de se laisser décaper par la vie, de se laisser raboter et enlever à peu près tout ce à quoi on s’accrochait, ce à quoi on espérait, ce à quoi on apportait de la valeur car, après que tout cela soit parti, qu’on est dépouillé, y’a plus grand-chose finalement qui peut vous stresser. Même rien en fait. On ne peut stresser que sur les choses que l’on a peur de perdre. Une fois que c’est fait… Prrrt, y’a juste à se contenter d’écouter le chant du merle qui sort du nid qu’il vient de se faire dans l’arbre, caresser la chienne, et se balader en moto. Manger, écrire, pisser, dormir et bosser un peu pour payer le loyer.
Ma maison se vidait au fur et à mesure. Plus ça allait, moins j’avais besoin d’objets moi, le grand collectionneur, qui avait besoin de recouvrir tous les murs de la baraque, quel changement ! Ma maison était intérieure désormais, les affirmations marchaient bien. C’était le seul truc auquel je me forçais un peu : entretenir dans ma tête un son de radio qui me fredonne du rêve au lieu du cauchemar des mois passés. Parfois, mon corps n’était pas d’accord, alors je laissais couler les émotions. Comme l’acte de résistance d’une ancienne croyance souhaitant reprendre le contrôle afin de ne pas mourir. Ce truc qui me disait de lâcher l’affaire, que tout ça c’était des conneries. Peut-être… mais pas plus qu’une taxe, ou la guerre, la croyance absolue en la parole de l’autre ou la dictature d’un trauma passé sur le présent. Alors j’envoyais tout cela se faire foutre, car, je crois que je m’en foutais royal, de tout ce qui se passait autour de moi, ou en moi, seul comptait cette petite musique, ces histoires que je me racontais. Grosso modo, ça tournait autour de ce discours-là : quoi qu’il arrive, quoique je ressente ou fasse, j’ai ce que je veux, je l’ai déjà, point barre.
Donc voilà, lundi soir, en terrasse, je commande une pinte, sors mon cahier et écrit. Il fait un peu frais, le ciel est couvert. Y’a peut-être une vingtaine de personnes en plus de moi, disséminés en table de deux ou trois. Une femme me croise, elle doit avoir 25 ans, des dreadlocks bleus et un décolleté rouge sang plongeant dans ses petits seins. À ma droite, trois hommes parlent vulgairement. Je connais l’un d’eux, de vue, un métisse avec des cheveux de Kaf gris. Un musicien je crois.
Il fait du vent, un peu, je le laisse me caresser le visage. Contrairement aux humains, il n’a pas peur du toucher et, comme j’en manque un peu, du toucher, je le laisse faire, un sourire aux lèvres et le cœur léger.
J’ai… PAS mal au dos. C’est que je me raconte, en boucle.
Tiens, la fille aux cheveux bleus vient de repasser devant moi, elle porte une grande veste noire désormais. Derrière, j’en entends une autre gueuler : « Que l’homme de ma vie se manifeste, il est en train de rater les plus belles années de mon cul ! » Ses potes se marre, moi aussi.
Si tu n’écris pas cela quand tu l’entends, que veux-tu écrire ? Merci meuf.
Le temps passe… je lâche mon cahier et reprend un verre. Je n’ai envie de rien ou, en tout cas, je n’ai pas envie de rentrer. Rien ni personne ne m’attend, sauf Michonne. Aussi, je me dis que je vais m’amuser à manifester quelque chose, comme ça, pour jouer. Alors, je me dis « quelqu’un se pointe que je connais ». Et je me répète ça en boucle et en boucle et en boucle. Mais personne ne vient, et la nuit tombe, mon verre aussi.
Je vois ce jeune gars noir, quelques tables plus loin, lui aussi est seul. Je me lève et je vais le voir :
« Salut, comment tu t’appelles ?
– Senay.
– Moi c’est Fabien. Écoute, on est seul tous les deux et j’ai envie de faire la conversation, ça te branche ?
– Avec plaisir. »
Je vais récupérer mon casque de moto et mon verre et m’installe à sa table. Senay est serveur dans le bar d’à côté. Forcalquier, il appelle ça Mortcalquier. À temps perdu, il dessine, alors ça tilt. Je lui parle de mon activité d’écrivain et que, par défaut d’illustrateur, je travaille avec Chat GPT. On se met d’accord pour tenter quelque chose ensemble.
La soirée passe ainsi puis le bar ferme. J’ai faim, monte à un kebab. Là, un homme arrive, peu de temps après moi, lui aussi porte un casque de moto alors, naturellement, la conversation commence sur ça en attendant l’arrivée de nos commandes. Puis il me dit qu’il est journaliste, et je lui demande comment se faire connaître en tant qu’écrivain local. Il me file son numéro et me dit de l’appeler, à l’occasion. Facile. Nos commandes arrivent, j’avale mon sandwich en une traite et file vers la moto.
J’ai un peu bu, sans doute un peu trop pour être sécure. RAF ! Je démarre et embraille. Arrivé sur le col des Mourres, sans trop savoir pourquoi, je coupe les phares, comme une envie de rouler de nuit. Au bout d’un moment y’a une ligne droite, j’accélère, écarte les bras et ferme les yeux quelques secondes, peut être cinq ou dix. J’adore faire ça, je vole. Quand je les réouvre, je vois que la moto à fait un gros écart et je manque de tomber dans le ravin. Ça me fait rire ! Je me marre, seul, dans mon casque.
J’arrive à la maison, ma chienne est là qui m’attend. Je me déshabille, me couche, il n’est même pas 22h. Et me voilà réveillé à 5 heures du matin en train d’écrire tout cela.