La Chronique du Fond de Cave

Faire son marché à l’emploi

 

…..Ces derniers temps, je me suis senti extrêmement mal fichu. Entre les problèmes judiciaires, d’argent, les histoires de gonzesses qui me voulaient et dont je ne voulais pas, celles que je voulais et qui me faisaient des procès pour que je les approche plus à moins de dix mille bornes, l’absence de mon fils, les éditeurs qui restaient plus silencieux qu’un syndicat de morpions sur la chatte d’une gamine, les douleurs à la nuque et au bassin, mon œil droit qui ne dérougissait pas depuis 1 mois, mon foie en vrac, mon taux de cholestérol, le fait que je fumais trop… bref, mes journées démarraient avec une liste de soucis longue comme cette phrase.
…..Et pour couronner le tout, je n’écrivais plus. Depuis plus d’un mois je n’avais pas gravé sur le papier le moindre petit poème potable. Rester assis me causait – à cause de mon dos – une de ces douleurs à plus vouloir causer de la verve. Le café bon marché me filait des palpitations et une chiasse d’enfer, l’alcool n’aidait plus non plus et, ne connaissant personne, pas moyen de trouver de l’herbe ou autre chose histoire de tenter de nouvelles expériences. Le principal souci je crois, c’est que je donnais de la tête partout sans prendre mon pied nulle part. Je venais de réaliser que, pour être un tant soit peu reconnu en tant qu’écrivain, il me fallait me développer sur internet, et donc joindre à cette déjà lourde casquette celle de designer de blog, de réalisateur vidéo, d’ingénieur du son, de publicitaire, éditeur, imprimeur, concepteur et j’en passe des « eur » ! Multiplication des compétences, monopole du travail, acquisition d’aucun savoir-faire, un vrai mec moderne !
…..Tout ça me faisait comme une immense boue de stress, lourde et noire, me comprimant la poitrine sans que jamais je n’arrive à la soulager. Je ne désirais qu’une chose : trouver refuge dans ma grotte, couper le téléphone, l’internet, baisser les stores et me faire oublier de tous et de tout durant au minimum une semaine. Simplement une semaine sans se sentir agresser par le monde extérieur, ses impératifs, ses jugements, ses bruits, ses appels et ses obligations. Juste trainer en caleçon dans le noir à écouter du jazz, tenter d’écrire, fumer et boire. Ça ne marche jamais comme ça.
…..D’abord mon voisin qui, au saut du lit, a débarqué chez moi avec une énorme bassine verte remplie de fringues et de flotte. La flotte dégoulinait à grosses gouttes sur le carrelage. Les boules parce que j’avais fait le ménage dans la semaine.
…..« Qu’est-ce que tu fous ici Georges ?
…..– Salut Marc. J’ai besoin de toi, ma machine à laver ne marche plus, la pompe je crois. Je peux venir essorer mon linge chez toi ?
…..– T’es déjà en train de le faire à moitié sur le sol. Okay »
…..Ça n’a l’air de rien mais mon grand sens chrétien n’était pas au rendez-vous ce jour-là.
…..Ensuite, je devais me rendre à une convocation Pôle Emploi. J’en flippais depuis un mois. Sur la lettre, il y avait marqué :
…..« Afin de définir avec vous les mesures d’accompagnement vers l’emploi les plus appropriées, nous vous proposons un entretien (NDLR : O-B-L-I-G-A-T-O-I-R-E sinon on te sucre tout. Donc ça n’a plus rien à voir avec un droit, ça devient un devoir).

…..Cette rencontre aura pour objectif :
…..a) de vous présenter les modalités de votre accompagnement. (ça veut dire quoi ce truc ?)
…..b) de faire le point sur vos démarches de recherche d’emploi et sur les difficultés que vous pouvez rencontrer.(plus personne ne lit et ne s’intéressent aux écrivains)
…..c) de rechercher avec vous les propositions d’actions les mieux adaptées à votre profil professionnel (ben voyons !) et à votre situation pour faire aboutir votre recherche d’emploi ».

…..Comment leur expliquer que leurs mots ne voulaient rien dire ? J’en avais rien à foutre de leur EMPLOI, moi, je voulais vivre de mon TRAVAIL et que les allocations cotisées par mes parents et grands-parents tiennent encore le coup face à un gouvernement bien motivé à les dégommer, le temps que je me tire la tête de l’eau et finisse de sortir mes bouquins. Combat perdu d’avance…
…..Je me rendais donc là-bas, avec plus de papiers justificatifs qu’il n’en faut pour torcher un éléphant incontinent. La conseillère – qui avait dû essuyer plusieurs années de chômage avant de faire une formation pour qu’elle puisse montrer aux autres comment trouver du boulot – me reçut avec une demi-heure de retard. Elle devait avoir pas loin de cinquante ans, assez belle quoiqu’un peu grasse, mais avec un corps aux ambitions libidinales tout à fait respectables encore. Elle me fit m’asseoir devant son bureau en aggloméré avec un espace grand comme une boite à chaussure. D’ailleurs les murs avaient l’air en carton, on entendait tout ce qui se passait autour. D’ailleurs à côté, ça gueulait dur :
…..« S’il-te plait Cindy, laisse-moi ton ordinateur, juste une heure que je rentre mes quotas.
…..– Non Alain, t’avais qu’à arriver deux heures avant, comme tout le monde !
…..– Mais mon fils devait aller à l’école !
…..– Fallait mettre une capote ! Tout le monde vient avant six heures pour réserver les bureaux, t’avais qu’à faire pareil. »
…..Ça m’a rappelé pourquoi je voulais passer mes journées en caleçon à fumer et ruminer sur mon sort. Envisager aussi de regarder des dessins animés japonnais, dont je ne comprenais ni la portée philosophique, ni pourquoi ils s’obstinaient à animer des nanas hyper bien gaulées sans jamais les foutre à poil ou dans un plumard. Puis, si le désespoir était vraiment trop puissant, et me conforter dans l’idée de ne plus jamais sortir de chez moi, je pouvais écouter des émissions politiques, après bien entendu m’être foutu une cinquième marque de produit dans l’œil.
…..Ce qui me fascinait dans ces émissions parisiennes, c’était de voir comment tout le monde était d’accord pour tirer sur la bourgeoisie mais pas sur le Peuple (drôle d’idée d’ailleurs, le Peuple). Si certains affichaient un mépris à peine voilé, d’autres le définissaient comme immaculé, simplement victime. Peut-être… Pourtant, je voyais bien là, une fois de plus, que ce peuple « d’en bas » cachait en lui toute une palette de saloperies auxquelles il n’est pas forcément évident de trouver de circonstances atténuantes. À moi le premier et c’est pour ça que je me permets d’en parler.
…..Les pauvres n’étaient pas plus radins en méchanceté que les « heureux de la mondialisation », ils avaient seulement moins de moyens à leur disposition pour la mettre en pratique de façon grandiose. Alors elle restait discrète, sournoise, rance. De la bassesse bon marché quoi, discount, motivée par le fait de préserver une vie crève-cœur ! Un filon de première pour les patrons.
…..Ma conseillère en placement (ben oui, c’est comme ça que ça s’appelle puisque je suis là pour devenir un produit sur le Marché du travail) éplucha mes papiers. En y regardant de plus près, elle n’était plus si belle, avec ses yeux creusés, pochés même, et un teint plutôt blafard pour une créole. Dans un bureau plus loin, j’entendis Alain demander un « quarante-cinq minutes » d’ordinateur à un autre de ses collègues, même réponse qu’avec Cindy. Système américanisé du travail. Pas assez de bureaux pour les tous les employés, donc faut venir réquisitionner tôt pour remplir son quota de placements. Ça tue la solidarité et le syndicalisme tout en augmentant la concurrence et la productivité. Voilà ce que subissent les gens qui nous aident à chercher du boulot : garder un peu le leur, si sordide soit-il. La conjoncture actuelle ils appellent ça… Pléonasme.
…..« Si j’en crois votre CV, fit ma cinquantenaire pochée, avec tous les emplois que vous avez pratiqué, on pourrait croire que vous ne vous êtes pas encore trouvé professionnellement.
…..– Je voulais voir du pays madame. Et c’est faux, j’ai simplement un métier dont personne ne veut.
…..– Ah ? Et lequel ?
…..– Je suis écrivain.
…..– Oh ! C’est intéressant ça. Quel genre ?
…..– Poésie, nouvelle, roman, un peu tout.
…..– Non, je veux dire…
…..– Je sais. Disons du réalisme un peu sale.
…..– Ah… Et vous avez été édité.
…..– Pas encore mais j’y travaille. »
…..Là, j’ai vu dans son regard cette lueur déjà mille fois observée : le mépris. Pas édité = pas valable = gros branleur. C’était peut-être vrai après tout ? J’aurais pu lui dire que de son vivant, Rimbaud n’avait sorti qu’un bouquin et encore, il s’était autoédité, mais j’ai gardé ça pour moi. Rimbaud a eu la chance de ne pas connaître la télé. J’aurais bien aimé le voir à ma place avec son « il faut être moderne résolument ».
…..« Sinon, à part ça, vous avez des projets plus… pragmatiques ?
…..– (!?!?!?!?) Honnêtement madame, ce que je vais vous demander ressemble à la lune alors autant ne pas se fatiguer.
…..– C’est-à-dire ?
…..– Si je vous disais que je veux un boulot intéressant, motivant et agréable, où je puisse progresser au sein de l’entreprise, apprendre et servir la société, tout en étant payé de façon raisonnable pour envisager l’avenir matériel d’une manière plutôt sereine et qui soit conciliant avec une vie de famille, que me répondez-vous ?
…..– Que vous demandez la lune, m’ont murmuré ses yeux éteints. Je venais de la plonger dans une époque où elle était encore jeune fille.
…..– Ouais, c’était mieux avant et le niveau baisse. »
Après trois autres tentatives, Alain a fini par se pointer dans ce bureau. Sa chemise bleu ciel était trempée et son visage exprimait un savant mélange d’hystérie et d’angoisse. Ce genre de tête qu’ont les blondes dans les films d’horreur. Il n’était que neuf heures et demie du matin.
…..« Je t’en supplie Sandrine, laisse-moi ton ordinateur, rien que cinq petites minutes ! »
…..Ma conseillère en placement – Sandrine donc – lui céda sa place, par pitié sans doute plus que part solidarité. On venait de finir de toute façon, elle m’avait inscrit à une formation de plombier. « Ça marche bien la plomberie ». Elle disait ça parce que sur l’île, les plombiers portugais n’étaient pas encore trop nombreux. Avec le carrelage, la vente et l’électricité, ça fait partie des choses que je déteste le plus la plomberie…
…..Mais bon, ça c’est un vrai emploi sur le marché pas vrai ?

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